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besoin de trois jours pour faire l’ascension, que la première nuit on couchait au sommet de la côte ; enfin tout.

— Et alors ils ont été contens.

— Il paraît que oui, car ils se sont réunis, et m’ont donné 50 fr. pour boire à leur santé.

— Ah ça ! Payot, mais si vous restiez seulement deux ans en France et en Angleterre, vous retourneriez à Chamouny millionnaire.

— Il y paraît ; mais, dans tous les cas, je ne prendrai pas le temps de le devenir ; je viens vous dire adieu, je pars.

— Aujourd’hui ?

— À l’instant. Oh ! voyez-vous, vous m’avez montré le pays, faut que j’y retourne. — Je tendis la main à Payot.

— Est-ce que vous ne direz pas un petit bonjour à Dur-au-Trot ? il est en bas avec sa carriole.

— Si fait, et avec grand empressement. Il m’a laissé des souvenirs que je n’oublierai pas.

— Eh bien ! allons donc.

— Et la goutte ?

— C’est juste.

Je passai un pantalon à pied et ma robe de chambre, et je reconduisis Payot. Dur-au-Trot l’attendait effectivement à la porte. Je le reconnus parfaitement.

Payot me demanda la permission de m’embrasser. Je serrai son brave cœur contre le mien. Il essuya deux larmes, sauta dans sa carriole, fouetta son mulet, et partit.

Il n’avait pas fait dix pas qu’il arrêta sa bête, se retourna, et, voyant que je le suivais des yeux :

— Vous pouvez dire, si vous revenez à Chamouny, que vous serez le bien-venu, me dit-il. — Allons, en route.

Cinq minutes après il tourna le coin du faubourg Poissonnière et disparut. Je remontai.

— Eh bien ! dis-je à Joseph, savez-vous pourquoi on écrit la rue Bleu sans e ?

— Personne n’a pu me le dire. Mais si monsieur veut s’adresser au fils de M. Bleu, qui a fait bâtir la rue, il demeure à quatre maisons d’ici.

— Merci, je sais ce que je voulais savoir.