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chirurgien de l’Hôtel-Dieu, il a voulu en être le premier, puis chirurgien du roi, puis membre de l’Institut ; ce dernier point a été l’un des plus difficiles à atteindre ; il éprouva une vive résistance de la part de ce corps savant, qui n’admet pas volontiers dans son sein les riches praticiens de la science, dont le talent est récompensé par la fortune. L’autorité de son nom, la puissance de ses amis, et, par-dessus tout, la ferme volonté, lui ouvrirent enfin les portes de l’Académie des sciences. Le 4 avril 1825, il prit possession du fauteuil de Lassus, qu’avait occupé Percy depuis 1807.

L’Institut n’eut point à se repentir de compter Dupuytren parmi ses membres ; il y montra, comme partout, un profond savoir, un admirable jugement ; et d’ailleurs qu’eussent pensé de nos académies ces étrangers de toutes les nations, se pressant en foule aux leçons du célèbre professeur de l’Hôtel-Dieu, de le voir exclu du premier corps savant de Paris ? il est des noms dont la place est marquée à l’Institut ; l’opinion publique les y met de force et ne comprend pas les subtiles distinctions par lesquelles on repousse quelquefois un savant illustre dont le pays s’honore, pour lui préférer un obscur érudit. Dupuytren n’était pas moins ambitieux de fortune que de places et de renommée. Il s’occupait avec ardeur des moyens d’augmenter son énorme capital ; il voulait être autant au-dessus des autres par sa richesse que par sa gloire ; peut-être croyait-il que l’éclat de sa fortune rejaillissait encore sur l’éclat de son nom, et il ne se trompait pas. Un savant, escorté de millions, a quelque chose d’imposant qui ne le cède qu’à la pauvreté.

Je ne sais s’il voyait dans la fortune autre chose qu’un moyen de puissance, s’il avait le goût de l’argent et un véritable sentiment d’avarice ; mais il est certain qu’il ne se donnait aucune des jouissances de la vie : il était mal vêtu, vivait médiocrement quand il était seul, et se servait le plus ordinairement de cabriolets de place, où il s’empilait, lui troisième, avec M. Marx, et il manquait quelquefois de monnaie pour payer le prix de la course. Il possédait fort peu d’instrumens, et souvent il exigeait que ses internes lui fournissent ceux dont il avait besoin pour les opérations de l’Hôtel Dieu.

Les six millions d’Astley Cooper lui tenaient au cœur, et lorsque, dans les derniers temps, on lui conseillait de prendre du repos : « Que voulez-vous ? disait-il, je n’ai encore que quatre millions ! »