Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 6.djvu/695

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
691
BREST À DEUX ÉPOQUES

Au plus faible d’abord : mettez la barre sur la corvette, et nous allons voir.

Un joyeux hourra s’éleva de tous les points du navire, et chacun prit son poste. La Félicité rencontra d’abord la frégate la Tamise, qui lui envoya ses deux bordées auxquelles elle riposta ; puis, passant outre, elle essuya le feu du vaisseau l’Alcide, y répondit et tomba, toutes voiles dehors, sur la corvette le Rumbler. Surpris ainsi et coupé de ses deux compagnons, le Rumbler envoya ses bordées, puis voulut manœuvrer pour se mettre derrière les feux des navires anglais ; mais avant qu’il eût pu les rallier, la Félicité laissa arriver sur lui, presque bord à bord, et lui envoya ses deux volées à bout portant. Un horrible fracas, suivi d’un grand cri, se fit entendre, et quand la frégate française, emportée un instant par son air, vira sur elle-même, le nuage de fumée qui avait entouré la corvette se dégageait, et la laissa voir démâtée de ses trois mâts et s’enfonçant lentement dans les flots. Cependant l’Alcide arrivait au secours du Rumbler qui sombrait ; Cornic profita du moment de trouble et de retard qu’entraînait cette manœuvre pour tomber sur la frégate ennemie qu’il couvrit de son feu. Il l’aurait coulée comme la corvette, si l’Alcide, qui avait mis ses embarcations à la mer pour sauver l’équipage du Rumbler, virant de bord subitement, n’était venu longer à bâbord la Félicité, qui se trouva ainsi prise entre deux feux. Alors ce ne fut plus un combat, mais un massacre. Le vaisseau anglais, dominant la frégate française de toute la hauteur de ses batteries, semblait un volcan en éruption, et l’inondait d’une pluie de mitraille. On respirait dans une atmosphère de soufre, de feu, de fer et de plomb. La fumée et le fracas de l’artillerie ne permettaient ni de voir ni d’entendre. Le vent, abattu par tant d’explosions, ne se faisait plus sentir ; les voiles fasseyaient le long des mâts ; la mer, comme épouvantée, avait laissé retomber ses vagues, et le navire n’obéissait plus au gouvernail. Tout à coup le feu se ralentit, puis s’arrête. Cornic étonné regarde autour de lui ; un maître accourt :

— Capitaine, on ne reçoit plus d’ordre ; tous les officiers sont tués.

Le capitaine s’élance de son banc de quart. En ce moment, un boulet coupe la drise du pavillon français, qui disparaît.

— Nous avons amené ! crie un matelot.