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mais dont mon imagination poétise quelquefois un peu trop la rigidité, reprend aussitôt sur moi son empire oublié durant les heures romanesques de la nuit. Alors, quittant la dalle de Francesca, où je suis restée immobile et attentive durant tout ce travail du renouvellement de la lumière et du réveil de la nature, je m’ébranle comme l’antique statue qui s’animait et qui trouvait dans son sein une voix au premier rayon du soleil. Comme elle, j’entonne l’hymne de joie et je marche au-devant de mon troupeau en chantant avec force et transport, tandis que les vierges descendent en deux files régulières le vaste escalier qui conduit à l’église. J’ai toujours remarqué en elles un mouvement de terreur lorsqu’elles me voient sortir de la galerie des sépultures pour me mettre à leur tête les bras entr’ouverts et le regard levé vers le ciel. À l’heure où leurs esprits sont encore appesantis par le sommeil et où le sentiment du devoir lutte en elles contre la faiblesse de la nature, elles sont étonnées de me trouver si pleine de force et de vie, et malgré tous mes efforts pour les dissuader, elles ont toujours pensé que j’avais des entretiens avec les morts du préau sous les lauriers-roses. Je les vois pâlir lorsque croisant leurs blanches mains sur la pourpre de leurs écharpes, elles s’inclinent en pliant le genou devant moi, et frissonnent involontairement lorsque, après s’être relevées, elles sont forcées l’une après l’autre d’effleurer mon voile pour tourner l’angle du mur.


George Sand.