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VOYAGES
D’UN SOLITAIRE.

ITALIE.


i.

Oui, Albert, je suis parti sans prendre congé de toi, ni de personne, selon ma louable coutume. Pardonne-moi ; je me mourais sur la lisière de nos bois. Tu ne connais pas les affres de mélancolie que recèlent ces puissantes forêts, quand les ombres d’automne s’amassent sur les étangs. Les oiseaux voyageurs étaient arrivés des montagnes. Chaque matin ils passaient par bandes devant ma porte ; je me figurais par avance les contrées qu’ils allaient visiter, les lacs, les vallées, les mers. Une inexprimable angoisse me saisissait : j’avais besoin, comme eux, de secouer la rosée de mes songes, et d’un coup d’aile vigoureux pour fuir mon propre souvenir. À force d’errer dans les salles du vieux château de Montmort, j’ai retrouvé des ombres funestes qu’il faut quitter.

Tu ne sais pas ce que c’est que de n’entendre jamais d’autre écho que celui de sa pensée vagabonde. Ma jeunesse se consumait là dans un stérile amour de la création tout entière. J’étais noyé dans un océan sans forme et sans rivages. Si je n’eusse pris la résolution d’en sortir, c’était fait de moi ; car ce pays, tout sévère qu’il est, a bien des charmes. Il vous retient par d’invisibles lianes, comme ces fleurs des eaux qui