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bleus. Les petites îles Borromées ressemblent à une création de l’Arioste. Elles ont la même grâce que les inventions de l’Orlando furioso, avec quelque chose de plus sauvage. Il y a en outre des pêcheurs, un village et une église, dans la plus grande de ces îles, qui ne semblent faites que pour la fantaisie des poètes. Le doux parfum de la langue milanaise commence là avec le myrte, l’olivier et le citronnier. L’enchanteresse des climats du midi habite en cet endroit, sur son seuil. Dans le château déshabité des Borromées, il y a des tableaux, des statues dormantes dans les salles souterraines, au bruit des flots dormans ; il y a de l’art et de l’amour, c’est-à-dire, toute l’Italie. Dans ces îles lilliputiennes, la nature s’est jouée d’elle-même ; assise au pied des Alpes, elle sourit comme une puissante Armide sur ces fantasques rivages.

Quand on aperçoit de loin la cathédrale de Milan, on dirait d’un édifice de glace, bâti là de toute éternité, à la descente des Alpes. C’est la vieille cathédrale gothique qui a servi de modèle à cette architecture ; mais combien le type austère de Cologne et de Strasbourg n’a-t-il pas été altéré sous le ciel énervant de l’Italie ! La voûte ténébreuse du nord s’est changée en un marbre blanc d’un éclat presque païen. Sur cette terre de Saturne, le mysticisme de l’architecture gothique est dépaysé ; le soleil ardent du midi pénètre, avec une curiosité profane, jusqu’au fond de la nef. Le trèfle et la rose chrétienne ont fait place, dans les ornemens, au laurier idolâtre. D’ailleurs il n’y a plus de flèche qui monte dans le ciel. Soit que l’esprit de l’Italie se plaise moins dans la nue, soit que cette témérité répugnât trop à la tradition romaine, il est certain que la flèche gothique a toujours été un embarras pour les peuples du midi. Ou ils l’ont séparée de l’église, et ils en ont fait un édifice distinct, comme à Venise, à Florence, à Pise, ou ils l’ont supprimée comme à Milan. La cathédrale, triste et rêveuse, des bords du Rhin s’est convertie, sous le ciel lombard, à une foi sensuelle. De ses fleurs de marbre s’exhale l’odeur des citronniers et des myrtes du polythéisme. Le Dies iræ ne retentit pas sous ses voûtes ; bien plutôt l’écho de Lombardie y redirait des sonnets d’amour. Ce n’est pas le Dieu crucifié qui a ici son symbole au milieu de cette nature prodigue, c’est la Madone souriante sur le chemin des pèlerins. Les statues innombrables qui habitent son église ressemblent aux onze mille vierges de Cologne, ressuscitées dans de pâles corps de marbre, que la mort païenne a ciselés.

De Milan, cette architecture, mêlée du génie du Nord et du génie du Midi, prend trois routes : elle va aboutir, sur l’Adriatique, dans les palais vénitiens ; sur la Méditerranée, dans le Campo-Santo de Pise ; par le chemin de la Toscane, à Orviète : elle a suivi principalement les traces de l’esprit gibelin.