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s’étalent partout et se pavanent si démesurés, les batailles se réduisent-elles aux proportions d’un devant de cheminée ?

Les portraits, quand cesseront-ils de nous poursuivre ? N’est-ce pas encore un double portrait que cette soi-disant Entrevue de Pie VII et de Napoléon à Fontainebleau ? De signification politique, ce nuageux ouvrage n’en a aucune. Mais comme il traduit infidèlement la grande figure de l’empereur ! Napoléon a-t-il été jamais cet adolescent bouffi et vaporeux ?

Est-ce un système chez M. Wilkie que de rajeunir et de gonfler ses héros. Ce gros général écrivant à Louis XVIII la veille de Waterloo, a-t-il rien en lui du duc de Wellington ? Sa Grâce n’était déjà plus un jeune homme il y a vingt ans ; mais je m’assure qu’à vingt ans même elle n’avait pas davantage cet air bien portant et sentimental.

Dans l’insignifiante esquisse qui montre une jeune fille que le poinçon d’or enrichit douloureusement de ses premiers pendans d’oreille, je ne reconnais guère l’auteur ingénieux du Ménétrier aveugle.

L’Intérieur d’une chaumière irlandaise suffit cependant à soutenir cette année le renom de M. Wilkie. C’est une page énergique d’histoire contemporaine. Un jeune paysan, poussé par le besoin au vol et au meurtre, est rentré dans sa hutte les mains teintes de sang. Sans doute, afin de s’étourdir, il aura vidé la fiole de whiskey pendue au mur, car il s’est jeté à terre et caresse insoucieusement son enfant nu. Mais sa femme et sa sœur ne partagent point cette effrayante tranquillité. Les soldats viennent ; on les entend ; elles écoutent, penchées à la porte, pâles et transies. Cette scène est fortement dramatique. Elle raconte et résume pathétiquement les intolérables misères de tout un grand peuple opprimé.

On n’a pas le courage de relever particulièrement les fautes de cette œuvre touchante, mais elles suggèrent quelques remarques générales sur le talent de M. Wilkie. Quiconque ne le connaîtrait que par ses peintures d’autrefois n’aurait de lui nulle idée correcte. Il n’est plus, en effet, le même qui écrivait si soigneusement de petits drames de la vie rustique et ouvrière ; il n’est plus celui que l’admiration de ses compatriotes couronnait du double génie d’Hogarth et de Teniers : il est bien davantage, au dire des admirateurs. À dater de son retour d’Espagne, c’est un homme renouvelé. Il a pris le large vol ; il est entré en pleine poésie. De fait, la trans-