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providence ou de l’histoire universelle. Aussi, lorsque vous voyez de loin, sur la place de Saint-Pierre, l’obélisque projeter son ombre sur le méridien tracé à sa base, cette aiguille colossale d’une colossale horloge solaire semble marquer silencieusement l’heure de l’éternité dans la ville éternelle.

Pour achever cette Rome catholique, les deux artistes de la papauté, Michel-Ange et Raphaël, se sont partagé le double génie de l’église. Le premier a reçu l’inspiration de la Bible, le second celle de l’Évangile. Ainsi l’Ancien et le Nouveau-Testament de l’art ont reçu à la fois leurs deux révélateurs.

L’école de Venise répondait au génie d’une aristocratie sensuelle, celle de Florence aux traditions d’une démocratie chevaleresque et lettrée ; l’école de Rome représenta l’institution souveraine par excellence, la papauté. Les peintres ascétiques du moyen-âge étaient dans un rapport naturel avec l’architecture ascétique qu’ils décoraient de leurs fresques, avec l’église de Saint-François-d’Assise et le cimetière des Pisans ; les Florentins avec leurs églises patronales et le baptistère de la commune ; Fiesole avec les cellules des cloîtres ; Titien avec le palais des doges. Raphaël et Michel-Ange intronisèrent l’art sur le Saint-Siége. Leur génie pouvait éclater partout ; leur vraie place était au Vatican.

Si l’on veut voir d’un seul coup-d’œil l’œuvre épique de la tradition chrétienne, il suffit de regarder les fresques de Raphaël. Les transformations continues de l’art y sont d’autant plus sensibles qu’une partie du vieux génie liturgique palpite encore et revit sous ces formes nouvelles. Cet idéal s’est développé dans l’art de la même manière que le dogme dans l’église. Ce n’est point en un jour que l’église, cette madone des tombeaux, a revêtu les pompes et la gloire de la papauté ; elle a passé par le martyre. Avant de s’éveiller aux joies du siècle de Léon X, elle a chanté, dans le sépulcre du moyen-âge, ses litanies de mort. De même, la peinture de Raphaël n’est pas l’œuvre d’un seul homme. On pourrait l’appeler une peinture épique, parce qu’elle a résumé tout ce qui l’a précédée, tellement liée à la tradition, qu’elle semble souvent indépendante de la volonté et du choix de l’artiste. Elle aussi a langui dans les sépulcres des cénobites. Elle s’est dérobée au monde païen, avec les ormes bysantines, au fond des catacombes ; elle a vécu dans les cellules du quatorzième siècle, et dans le Campo Santo des Pisans. Aussi, dans son triomphe, elle garde quelque chose de son martyre. Sous sa beauté épanouie au soleil de la renaissance, vous reconnaissez les traces de l’ascétisme et de la douleur du moyen-âge. Raphaël représente la tradition de l’Église. Il y a en lui du Pérugin, du Masaccio et du frère Angélique.

Tout autre est Michel-Ange. Il n’a ni maître ni passé. Si on découvre