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VOYAGES D’UN SOLITAIRE.

en lui une parenté véritable avec Dante et les sculpteurs pisans, s’il tient de l’âpreté des discordes civiles, de la véhémence de Savonarole, de l’esprit tumultueux des Guelfes et des Gibelins, il a par-dessus tout l’esprit d’infaillibilité qui ne doit rien qu’à lui-même. Il fait, il accroît la tradition ; il ne la reçoit pas. Il gouverne, il règne de la même manière que le pape. Il est le fils aîné du dieu de l’art. Dans son platonisme biblique, il entrevoit des idées, des formes que lui seul a aperçues ; il les impose au monde, et le monde s’y soumet. Ses œuvres sont des décrets ; son dieu est le dieu de l’excommunication ; sa madone est celle de la vengeance ; son ciel menace. Des nuages de colère portent aux quatre vents son Jehovah. Dans la chapelle Sixtine, ses prophètes écrivent sur leurs livres d’or la bulle d’interdiction des empires futurs. Ses sibylles de Cumes et d’Éphèse sont émues par avance des anathèmes du moyen-âge. Il y a en lui du Grégoire VII, comme il y a du Léon X dans Raphaël.

Mais cette Rome de l’antiquité, du moyen-âge, de la renaissance, est encore incomplète et morte ; pour lui donner la vie, il faut y ajouter les fêtes du catholicisme.

Un des principaux ornemens de ces fêtes est le peuple même de Rome et de la campagne ; il fait comme partie nécessaire des cérémonies et du rituel de la papauté. Il adore pour adorer, il prie pour prier. C’est un artiste en matière de foi, au moins autant qu’un dévot de profession ; car, même dans l’idolâtrie du mendiant romain, il y a un certain désintéressement. Quand, au temps de Noël, les pifferari descendent des montagnes, la Voie Sacrée résonne sous les souliers ferrés des bergers. À tous les coins de rue, on entend le murmure des chalumeaux et des musettes d’Évandre, qui éveillent le Christ nouveau-né. Ces rites rustiques changent avec les saisons ; ils rappellent le temps de la primitive Église, où le peuple était acteur dans la liturgie. Les femmes de la campagne ont aussi un caractère de beauté qui s’allie avec les candélabres, avec les statues, avec les tableaux de l’Église romaine. Lorsque les femmes d’Albano, de Tivoli, de Frascati, se rassemblent sur les degrés de Saint-Pierre, il est rare que l’on ne retrouve pas parmi elles des airs de tête des sibylles de Raphaël et du Dominiquin. Cette ressemblance entre les monumens de l’art et ce peuple de pèlerins est une des choses qui contribue le plus à l’harmonie et à la magie des fêtes de Rome.

Enfin, le grand jour arrive ; le soleil de Pâques se lève sur les monts de la Sabine. Depuis la veille, les pélerins s’assemblent sur la place de Saint-Pierre. Vers le milieu du jour, les portes du balcon s’ouvrent ; il se fait un grand silence ; la foule tombe à genoux. Sur ce faîte des arts, des ruines, des souvenirs, paraît, assis sur son trône, un homme vêtu de blanc, couvert d’une mitre. C’est celui en qui tous les morts s’unis-