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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/178

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sage du licteur par un coup de poignard (pour une insurrection, on n’en parle pas), remplacé à sa mort par un homme tout pareil ; et l’ordre social de cette époque fondé sur l’inexplicable délire du souverain et l’inexplicable patience de ses cent quarante millions de sujets : voilà le problème qu’on nous propose, sans y songer beaucoup, quand on nous raconte cette histoire au collége.

Il y a une raison à tout cela : les masses ont souvent tort, elles ne sont jamais absurdes. Chercher cette raison pourrait être un des objets de notre travail ; poser le problème est déjà quelque chose d’assez curieux ; descendre dans le cœur de ces hommes si puissans par les circonstances, si faibles par la pensée, si démesurés par leurs crimes ; examiner ce qui se passait là ; faire la phrénologie de ces têtes historiques, au risque d’y retrouver la bosse de la sainteté, comme on l’a trouvée chez Lacenaire ; déterminer quel était le mobile, la passion, la constitution d’un Caligula ; faire enfin une place dans la nature humaine à ces idiosyncrasies si étranges : c’est pour la science, ce nous semble, un assez curieux travail. Nous ne voulons pas faire autre chose.

Ce sera donc tout simplement un peu de biographie intelligente ; ce ne sera pas de la philosophie de l’histoire. Pour connaître les hommes, il ne suffit pas d’établir un système sur les évolutions fatales de la société, ni de faire comme certain historien philosophe, qui intitule un chapitre : « En quoi l’humanité est une fleur. » Il faut de la vérité et de la réalité, des détails précis, de la biographie ; il faut descendre dans la vie privée, chose à laquelle on ne veut plus croire à cent ans de distance ; il faut admettre que les anciens avaient, comme nous, une vie domestique, comme nous des manies, comme nous des petitesses, qu’ils avaient, eux aussi, leur vie de carrefour, de cabaret, de café et d’Opéra.

Qu’est-ce que le peuple romain, par exemple ? Un John Bull, mais un John Bull oisif, parce qu’il était libre et qu’il avait des esclaves, flânant sous les rostres, écoutant la journée durant ses conteurs de nouvelles, tandis que John Bull, esclave affairé, sillonne ses trottoirs ; mais, du reste, ennuyé comme lui, hargneux comme lui, doué de sens comme lui. Quand il était pauvre, mendiant une sportula à la porte d’un grand ; puis, allant aux bains, que les grands payaient pour lui ; puis, achetant quelques légumes au marché, le reste du jour se couchant sur la place.