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LES CÉSARS.

payer ; pour cela, on chassait de leurs terres les habitans de toute une province, on mettait les vétérans à leur place, et, campés ainsi les uns près des autres, ils étaient prêts à marcher au premier mot. Octave, qui les craignait, leur donna des terres, mais en les dispersant. Ceux qui restèrent sous les armes, il les envoya combattre sur le Rhin, guerre lointaine et pauvre, où il n’y avait rien à piller. Il les mit loin de l’Italie, loin de Rome autant qu’il put.

Venait le peuple. Le peuple était un sublime mélange de tous les élémens divers qui avaient passé par la vieille Rome ; mi-parti d’affranchis et d’hommes libres, de vieux Romains et d’étrangers, de Grecs et de barbares, de citadins et de provinciaux, admirable cohue qui s’appelait le peuple romain, et savait parfois soutenir la dignité de ce titre ; enfant gâté de toutes les puissances, que l’aristocratie patricienne si opulente s’était cependant ruinée à divertir, pour lequel on faisait venir les gladiateurs de la Germanie, les rétiaires de la Gaule, les lions de l’Atlas, les danseuses de Cadix, les girafes du Zahara, à qui on donnait de magnifiques spectacles et en même temps du pain pour qu’il ne fût pas obligé d’aller travailler en sortant de là : et à quoi eût-il travaillé, ce peuple gentilhomme ? Tous les métiers étaient faits par des esclaves. Il lui fallait en outre (car les Grecs lui avaient donné des prétentions d’artiste) que sa ville fût belle ; et s’il logeait dans un taudis au septième étage, dans quelques-unes de ces maisons énormes où s’installait toute une tribu, comme nos maisons de location du faubourg Saint-Marceau, il fallait qu’il se promenât les jours de pluie sous des portiques corinthiens, qu’il fît ses affaires et qu’il entendît hurler ses avocats dans des basiliques opulentes ; que ses bains fussent de marbre, ses statues de marbre, ses théâtres de marbre et de porphyre : tel était le goût de cette redoutable majesté.

Auguste, successeur de l’aristocratie, devait, comme elle, nourrir le peuple, l’amuser, lui embellir sa belle Rome. Il fallait qu’à ses frais et par ses soins les blés d’Égypte et de Sicile vinssent nourrir le prolétaire romain, trop accoutumé à recevoir le pain de la main de ses maîtres pour qu’on pût songer à le faire vivre autrement. Il fallait jeter l’argent sur le Forum aux hommes, aux femmes, aux enfans, à tout ce que la dignité de citoyen romain appelait à prendre part à cette aumône solennelle ; du reste, il s’en fallait si bien que l’aumône fût quelque chose d’humiliant, qu’il y avait dans l’année un