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jour où, par suite d’un vœu, Auguste lui-même, assis à la porte du palais, tendait la main aux passans.

Le peuple avait-il faim ? il demandait du pain à son maître ; avait-il soif ? il lui demandait des aqueducs, il lui demandait le vin à bon marché. Auguste ainsi supplié refusait quelquefois ; mais après tout, c’était chose commode qu’un tel tyran. Le peuple s’ennuyait-il ? il demandait des jeux. Et alors l’Afrique, l’Asie, l’Occident, tout s’émeut pour lui envoyer des acteurs, des bouffons, des philosophes, des bêtes féroces, des combattans, des monstres, des saltimbanques ; on lui montrait un jour un rhinocéros, un autre un boa de cinquante pieds ; au cirque, il y avait des courses de chevaux, et des luttes à la grecque ; à l’amphithéâtre, des gladiateurs ; au théâtre, des histrions et des pantomimes, nouveau genre de divertissemens, et que l’antiquité aima jusqu’à la fureur ; à tous les coins de rues, des bouffons parlant toutes les langues, car cette Rome aux cent têtes les parlait toutes ; les jeunes gens des grandes familles venaient jouter devant le peuple, des chevaliers venaient devant le peuple faire les gladiateurs dans l’arène.

Avec le cocher des courses (agitator), le pantomime, le gladiateur, était le favori le plus intime du grand seigneur romain, l’idole la plus chère du peuple ; c’était là comme les coureurs de New-Market, ou les boxeurs en Angleterre, les protégés, que dis-je les amis, les commensaux du sportsman romain ; on vivait avec eux sur le pied de l’estime comme un turf-gentleman avec un jockei. Sous la république, le gladiateur avait encore rempli un autre rôle, on en achetait par bande (familiæ) pour les faire combattre devant soi aux festins, aux noces, aux funérailles ; on en avait aussi pour garder auprès de soi, pour s’en faire entourer au milieu des sanglantes discussions du Forum, pour trancher à coups d’épée les délibérations de Rome républicaine ; mais sous Auguste, le gladiateur perdit sa fonction politique, il ne garda plus que sa position sociale sur le même pied que le pantomime, l’agitator, le sculpteur, et un peu au-dessus du philosophe. Aussi, ces gens-là sentaient-ils leur importance : « César, disait le pantomime Pylade à Auguste, sais-tu qu’il t’importe que le peuple s’occupe de Bathyle et de moi ! »

Rome ne pouvait avoir trop de fêtes, ni trop de monumens ; les obélisques de l’Égypte s’élevaient sur ses places, l’eau vierge lui était amenée dans les aqueducs d’Agrippa ; tous les hommes qui