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DE L’ESPAGNE ET DE SON HISTOIRE.

Ce qui ressort surtout de l’histoire sérieusement méditée, c’est la puissance de l’individu, non quant aux résultats définitifs, mais quant à la manière dont ces résultats sont acquis aux nations. Un homme de plus peut leur valoir dix ans de calamités de moins ; et la proposition contraire est aussi malheureusement vraie. Je ne sais, par exemple, rien de mieux que l’étude des archives des affaires étrangères pour montrer combien la sphère de l’action personnelle est large encore, bien qu’elle soit circonscrite dans celle des nécessités sociales. En se trouvant plus rapproché des réalités politiques, M. Mignet aura dû modifier une disposition qui est celle de tous les esprits supérieurs au début de la vie. Il suffit d’apprécier la haute sagacité de l’écrivain dans les argumens et le texte historique, où sont si lumineusement enchâssés les documens officiels, et surtout dans la belle introduction qui les précède, pour voir que ces années d’expérience et d’étude ont conduit son talent à sa plus entière maturité.

Cependant nous aurons à signaler bientôt, en appréciant ce morceau lui-même, une dissidence qui nous paraît tenir à un certain tour d’esprit que M. Mignet a conservé de sa première manière. Si, comme nous le croyons, le point de vue selon lequel il apprécie le fait le plus funeste, selon nous, aux destinées de l’Espagne, la succession féminine, manque de vérité politique, il faudra, ce me semble, l’attribuer au besoin de justifier les phénomènes historiques, par cela seul qu’ils se produisent, et de rationaliser les accidens, en les élevant à la dignité de principes.

Dans ce vaste prologue, si beau d’ordonnance et d’harmonie, d’une éloquence sobre, mais pleine, où l’on voit se nouer dans le lointain des âges le drame que les évènemens vont bientôt trancher, M. Mignet s’est attaché à mettre en regard la fortune pâlissante de l’Espagne et celle de la France, qui chaque jour s’élève plus forte et plus radieuse, et finit par absorber sa rivale en lui imposant sa dynastie. C’est la lutte de deux grands peuples également favorisés du ciel, mais auxquels leurs institutions ont préparé des destinées si différentes.

On nous permettra de traiter ce morceau comme une œuvre à part, comme l’une des conceptions historiques les plus remarquables de ce temps ; nous parcourrons donc rapidement à notre tour la route que M. Mignet a si largement frayée, nous inspirant sou-