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Durant huit siècles, qui virent, selon les historiens castillans, livrer trois mille six cents batailles rangées, ce peuple ne se délassa de sa vie armée qu’en répétant en chœur les chants chevaleresques qui grossissaient chaque jour cette vaste épopée cyclique. La guerre devint pour lui quelque chose de sacré ; il la fit avec une foi forte et impitoyable, et la destruction des Maures prépara celle des Indiens.

Son expérience sociale n’augmenta pas plus que sa sécurité intérieure. Au lieu de s’étendre sur le sol, pour le féconder par le travail, de se grouper, comme elle le fit en France, autour des demeures féodales et des abbayes, la population de l’Espagne se jeta dans de grandes villes, les seules qui pussent efficacement résister aux attaques des armées musulmanes. De là cette disproportion notable entre la population urbaine et celle des campagnes dont les désastreuses conséquences se sont étendues jusqu’à nous. Au sein de cette société organisée pour une guerre éternelle, les terres étaient sans valeur, parce qu’elles étaient possédées sans sécurité. Aussi furent-elles distribuées aux chefs militaires, bien plus comme des territoires à défendre que comme une source de richesses à exploiter. De là l’immense étendue de ces possessions qui eussent fait de l’aristocratie espagnole la plus colossale du monde, si l’incurie des hommes et des lois ne les avait rendues stériles.

Le régime féodal fit peut-être répandre en France autant de sang qu’au-delà des Pyrénées la longue croisade contre les Maures ; mais les victoires territoriales remportées par nos rois sur leurs feudataires, les conquêtes politiques faites par les communes, avançaient chaque jour l’œuvre commencée, et la société moderne sortit enfin de ces couches laborieuses. La puissante unité de l’empire de Charlemagne avait créé pour l’avenir des titres aux rois de France leurs successeurs ; en Espagne au contraire, aucun lien ne rattachait les diverses dynasties princières à un même centre de suzeraineté féodale. Ces dynasties, d’ailleurs, n’exerçaient qu’un pouvoir fort limité, autant par l’autorité des chefs militaires qui marchaient de pair avec elles, que par la turbulente puissance de ces populeuses cités, où l’insurrection éclatait sitôt que les Maures quittaient le pied des remparts.

Cependant, lorsque le royaume de Grenade eut succombé sous