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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/241

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DE L’ESPAGNE ET DE SON HISTOIRE.

bord à y mettre le travail en honneur, à y faire fleurir la moralité privée, étouffée sous un formalisme religieux sans intelligence et sans vie ; il invoquera le concours du clergé auquel il fera une large part dans cette œuvre de régénération, en lui ôtant toute possibilité et dès-lors toute tentation d’exercer désormais aucune action politique ; il s’attachera à détruire, par l’ascendant de l’industrie et de l’esprit de propriété, ces habitudes vagabondes et guerrières de la démocratie rurale, retrempées dans la longue lutte de la Péninsule contre Napoléon, et que Ferdinand VII a si malheureusement excitées aux plus mauvais jours de sa puissance. En changeant le vieux système d’administration, en traçant des routes et creusant des canaux dans de vastes solitudes, il réunira des provinces étrangères les unes aux autres, il confondra de plus en plus la population des villes et celle des campagnes, que leurs antécédens historiques, autant que l’incurie souvent calculée du pouvoir, ont constituées dans un état presque permanent d’hostilité ; un gouvernement réparateur mettrait, en un mot, l’Espagne à bois neuf, en greffant les idées européennes sur ce sauvageon admirable de vigueur et de puissance.

Il n’en est pas de cette contrée comme de la France. Celle-ci a pu rester fidèle à presque toutes ses traditions politiques ; celle-là est malheureusement condamnée à les répudier. Quelque profonde qu’ait été la révolution de 89, elle n’a guère changé les rapports de la France vis-à-vis de l’Europe, parce que sa puissance s’est développée selon des conditions naturelles et normales. Nous avons pu ajouter à l’œuvre de nos pères sans en déplacer les fondemens. L’Espagne, au contraire, refoulée dans les voies intellectuelles par l’inquisition et l’absolutisme claustral, dans celles de la politique et de l’industrie par le système colonial et l’éparpillement de ses forces, entre dans une ère nouvelle, n’ayant à profiter que de ses fautes, car chez aucune nation le passé ne fut aussi coupable envers l’avenir.

Ce contraste entre notre gouvernement, fort de l’harmonieuse unité de ses parties, et un pouvoir gigantesque, produit des circonstances et inhabile à les dominer, est tracé dans l’introduction de M. Mignet d’une manière large et lumineuse. C’est la philosophie de l’histoire descendue des abstractions pour poser le plus important problème des deux derniers siècles.