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l’appui d’une dialectique vraiment puissante, M. Bazard, était lui-même un chef de carbonari, échappé comme par miracle à cette échauffourée de Colmar et de Béfort, où Lafayette joua si bravement sa tête. Les forces vives de la France étaient alors tendues de ce côté.

Placés de la sorte entre deux camps acharnés, les disciples de Saint-Simon auraient été fort mal venus à faire entendre une parole toute pacifique. Enseigner alors le dogme du maître, prêcher l’autorité à une époque où l’on abusait de l’autorité, parler d’un christianisme nouveau à des populations que fatiguaient les prêtres, déployer le drapeau d’un schisme en face des susceptibilités orthodoxes du moment, c’eût été se vouer à une prédication stérile et dangereuse. Le Producteur tourna l’écueil. Il réserva pour des temps meilleurs la doctrine sociale et religieuse, et ne s’occupa que du développement industriel et scientifique de l’humanité, d’après la théorie de Saint-Simon. Des plumes vigoureuses et exercées, des talens pleins de jeunesse et de verve, des hommes d’élite, parmi lesquels nous ne citerons que M. Carrel, restèrent alors associés, pour la rédaction de la feuille, au petit noyau des saints-simoniens primitifs ; et le succès qu’elle obtint parmi les esprits sérieux, résulta en grande partie de ce concours d’intelligences élevées.

Bientôt pourtant, un changement survenu dans le format et dans le mode de publicité ramena le Producteur à son unité originaire. De journal hebdomadaire il devint recueil mensuel. Ceux qui l’avaient fondé, puis transformé, le soutinrent pendant quelque temps encore, après quoi il s’éclipsa un beau jour, faute de 5,000 francs annuels pour le continuer. Les apôtres n’étaient pas opulens, et les mains qui jusque-là avaient fait les avances, étaient lasses de donner. Le Producteur mourut.

Dans sa courte existence, bien qu’empêché par des craintes de saisies judiciaires, il avait posé, en face du gouvernement le plus ombrageux, une foule de questions hardies et radicales. Il avait parlé de l’affranchissement de l’industrie, quand régnaient, dans toute leur gloire, les théories de M. de Mayrinhac et les tarifs de M. de Saint-Cricq ; il avait convié et excité à une œuvre d’organisation nouvelle les savans, les artistes, les financiers, ces puissances indépendantes que l’on craignait tant alors. Le Producteur avait fait plus encore : il avait prêché l’union et l’oubli à l’opinion dominante, et hasardé des mots de réforme sociale, précoces et