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mant l’oreille à toutes les remontrances, continuait paisiblement sa route. Une demi-heure après, le sac à café et le tonneau durent être parfaitement vides.

C’est ainsi que se terminent souvent ces voyages de commerce, et le pêcheur rentre chez lui pour vivre d’un peu de beurre rance et de têtes de poissons séchées au soleil. Sa boisson ordinaire est du lait mêlé avec de l’eau (blanda). (Ceux qui sont riches boivent de la bière préparée par la maîtresse de la maison.) Il se chauffe avec de la tourbe qu’il façonne lui-même, et broie entre deux pierres l’orge dont il a besoin. Au mois d’août, il fauche l’herbe de ses enclos ; c’est là sa seule récolte. Encore s’estime-t-il heureux quand cette récolte est assez abondante pour lui permettre de garder ses troupeaux. L’année dernière les habitans de Reykiavick ont été obligés de tuer une partie de leurs vaches et de leurs chevaux, faute de foin pour les nourrir.

Les Islandais sont graves et silencieux. C’est peut-être de tous les peuples celui qui a le moins le sentiment de la musique et de la danse. À les voir, on dirait qu’ils sont tous sous le poids de cette nature austère au milieu de laquelle ils sont nés. De toutes parts, leurs yeux ne rencontrent qu’un tableau sinistre, des souvenirs de calamité ou des sujets de terreur, une terre aride et volcanique, de la cendre et de la lave, et pas une fleur, pas une plante[1] ; une mer orageuse et des montagnes de glace. Nous avons parcouru pendant plusieurs jours à une assez grande distance de Reykiavik, cette contrée sauvage, couverte de rochers vomis par les volcans. On ne trouve, pour tout chemin, qu’un sentier brisé à chaque instant, ou par les rivières qui débordent, ou par l’eau fétide des marais. L’Islandais seul peut s’aventurer au milieu de ces landes désertes, comme les navigateurs au milieu de l’océan ; l’étranger s’y perdrait. De temps en temps seulement, on aperçoit une pyramide en pierre placée comme un phare pour indiquer la route à suivre pendant l’hiver, et de loin en loin aussi, un bâtiment en pierre, adossé contre une montagne et construit successivement par les paysans. Le premier qui fait halte dans un lieu commode et abrité contre le vent, pose la base de l’édifice ; un autre arrive qui continue l’œuvre de son prédécesseur, puis un troisième travaille sur le même plan, et chaque paysan qui vient là passer une nuit croit devoir payer à ceux qui l’ont précédé, à ceux qui le suivront, le tribut d’une heure de travail. Le monument se trouve ainsi

  1. Le gouverneur nous faisait admirer un soir, dans son jardin, l’arbuste unique de Reykiavik, un sorbier. Il y a cinq ans qu’il est planté, et il a deux pieds de haut. Chaque bourgeon qui pousse sur ses rameaux est un évènement ; mais quand il arrivera à la hauteur du mur qui le protège, il mourra.