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voyés au fond de la Calabre, eurent un sort plus malheureux. Il est superflu de faire remarquer que ces pâtres montagnards n’ont pu avoir aucune influence sur une littérature qu’ils ignoraient.

Quoi qu’il en soit de la propagation de la secte des Vaudois, de sa durée ou de son extinction dans le reste de l’Italie ; en supposant même, avec M. Rossetti, que les membres de l’association secrète eussent absolument les mêmes opinions, il y a une différence essentielle qui met ceux-ci à une distance immense des premiers. Les Albigeois et les Vaudois professaient franchement leurs convictions ; en hommes vertueux, ils vivaient selon leur foi et ils mouraient pour elle. Les associés, au contraire, se cachaient soigneusement, et dissimulaient au point d’observer les pratiques religieuses qu’ils condamnaient intérieurement, ce que les Vaudois eussent regardé comme une profanation.

L’association, en effet, a gardé merveilleusement bien son secret, puisque, après tant de siècles, M. Rossetti est le premier à le découvrir. Elle a pris un excellent moyen pour cela : elle n’a ni agi ni parlé. Je me trompe : elle a su en même temps se taire et parler ; elle a parlé, bavardé même, d’une manière inintelligible pour tout le monde, excepté pour les affiliés. Or, ceux-ci n’avaient pas besoin d’être persuadés, et les autres lisaient sans y entendre malice. Ils croyaient lire des chants amoureux, respirant un sentiment pur et idéal, et ils n’apercevaient pas le venin de l’hérésie. Dans quel but tant de poètes (car aucun de cette époque n’échappe à la diligence de M. Rossetti) auraient-ils mis leur esprit à la torture pour inventer et mettre en vers tant de déguisemens de la même thèse ? Car en admettant comme vraies les incroyables interprétations de M. Rossetti, il n’y a rien dans ces passages occultes qui ait servi à fortifier même une opinion déjà adoptée : ils n’auraient jamais été que des énigmes oiseuses.

On rapporte que le barbier du roi Midas, après que celui-ci eut subi une métamorphose fâcheuse, craignant que son secret ne l’étouffât, pour se soulager dit à voix basse entre les roseaux d’un étang : « Le roi Midas a des oreilles d’âne ! » L’association en question ressemble fort à ce barbier. Cependant l’issue fut différente. Les roseaux grandis et agités par le vent, l’année suivante, répétèrent les mêmes paroles. Ainsi, le barbier eut la satisfaction de voir le secret éventé, sans qu’on pût l’accuser d’indiscrétion.