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aient fait dériver leurs doctrines d’une ancienne société secrète ? Leurs oracles avoués étaient Luther, Melanchthon, Zuingle, Calvin et autres réformateurs, avec lesquels ils étaient en correspondance.

À l’époque même où l’insurrection religieuse éclata en Allemagne, on était occupé en Italie de tout autre chose. Les beaux-arts avaient atteint leur apogée. On achevait à Rome le temple le plus vaste et le plus magnifique qui ait jamais été érigé en l’honneur d’aucun culte. Michel-Ange et Raphaël rivalisaient de génie pour embellir les pompes et célébrer les triomphes de l’église romaine. Personne ne semblait se douter que sa domination fût ébranlée jusque dans les fondemens.

Dans plusieurs écrivains italiens de la première moitié du xvie siècle (par exemple dans Machiavel), il est facile de reconnaître, à des symptômes non équivoques, un esprit bien différent de celui des réformateurs : un scepticisme universel, accompagné, comme cela arrive d’ordinaire, d’une profonde indifférence pour tout ce qui concerne la religion, que ces auteurs ne regardaient que comme un instrument politique.

Tout le monde sait que Dante et Pétrarque ont signalé sans ménagement la corruption de la cour de Rome et d’Avignon et les abus du régime ecclésiastique, mais personne n’avait encore soupçonné que, même dans leur pensée la plus intime, ils se fussent séparés de l’église catholique, ou qu’ils en eussent rejeté les dogmes. Ce que nous disons de ces grands hommes n’a pas pour but de rétablir leur réputation d’orthodoxie ; c’est comme poètes qu’il nous importe de les justifier, et d’effacer la flétrissure que M. Rossetti tâche d’imprimer à leur front.

En parlant de Dante, il s’écrie : « Assurément, la religion, cette fille de Dieu, ne sera pas moins sainte, lorsqu’on aura démontré qu’une muse tremblante, afin de se rendre invulnérable, a été engagée par la peur à se couvrir de ses vêtemens. » — Que veulent dire ces phrases contournées, si ce n’est que la peur a rendu le poète hypocrite ? La muse de Dante tremblante ! Dites donc plutôt foudroyante ! Il a composé son grand poème sous le poids d’une sentence de mort, banni de Florence, dépouillé de son patrimoine, errant d’un asile précaire à l’autre ; il l’a publié de son vivant, quoique ce poème fût de nature à lui attirer l’inimitié de beaucoup d’hommes puissans, et surtout des