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DANTE, PÉTRARQUE ET BOCCACE.

genre. Ces trois écrivains ont été appelés souvent les précurseurs de la réformation ; mais cette épithète, pour être juste, a besoin d’être bien définie.

Dans l’entreprise des réformateurs du XVIe siècle, il y a deux choses parfaitement distinctes. D’abord, ils ne réclamaient que l’abolition des abus et le rétablissement de la discipline ecclésiastique. Ils furent poussés à la controverse par la nécessité de se défendre contre l’accusation d’hérésie ; ils se déterminèrent enfin à rejeter la tradition postérieure aux premiers siècles du christianisme, et à s’en tenir uniquement au texte des saintes Écritures. Sous le premier point de vue seulement, Dante et Pétrarque peuvent être assimilés aux réformateurs. Si, ensuite, l’on entend par précurseurs ceux qui accélèrent l’époque d’un évènement, il serait difficile, pour ne pas dire impossible, de prouver leur influence. Les œuvres latines de Pétrarque ayant été imprimées avant la fin du XVe siècle, ont pu être consultées par les savans allemands. Dante, au contraire, fort négligé à cette époque en Italie même, était complètement inconnu au-delà des Alpes. Le Décaméron a été traduit en plusieurs langues, il a été lu avec avidité pendant le XVIe siècle, parce que les satires qu’il contient répondaient à l’opinion populaire.

Les Albigeois, à tous égards, doivent être regardés en réalité comme précurseurs de la réforme. Albigeois, Vaudois, Patarins, ces noms ne sont que des distinctions géographiques ; l’historien des Vaudois, le vénérable pasteur Léger, atteste qu’ils étaient tous de la même communion. Puisque M. Rossetti affirme si audacieusement que les trois fondateurs de la littérature italienne étaient des Patarins, il importe de rectifier les notions qu’il donne sur ceux-ci. Les Albigeois ont été indignement calomniés : c’est l’accompagnement obligé d’une persécution injuste. Leurs ennemis, ayant réussi à les exterminer, ont pu défigurer leur doctrine à volonté ; ils en ont fait des manichéens. Je ne m’étonne point que les écrivains italiens depuis Villani jusqu’à Muratori aient répété le mot d’ordre ; mais je vois à regret un historien protestant[1] reproduire une assertion déjà contredite par Bayle et bien d’autres auteurs graves. Les livres qui servaient à l’instruction reli-

  1. Sismondi, Histoire des répub. ital., tom. ii, pag. 352-354.