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LES BARDES.

Dans le mot irlandais faidh (prophète) s’est conservé l’équivalent et peut-être la racine du mot vates, par lequel Strabon désigne les devins qu’il associe aux druides et aux bardes. Du reste, il ne me semble pas que le caractère prophétique soit aussi inhérent aux bardes irlandais qu’aux bardes gallois. Chez les Irlandais, le barde semble plus occupé du passé que de l’avenir. C’est dans le passé que vit ce peuple. Le songe de la gloire fabuleuse de l’antique Erin a consolé ses fils rêveurs, comme l’espoir ardent de l’avenir a soutenu les fils patiens et opiniâtres de la Cambrie.

Aussi chez les Irlandais, le barde se confond avec le savant, le docteur (ollam), avec le chroniqueur et le généalogiste.

Les bardes irlandais sont aussi des hérauts d’armes comme les kêrukes d’Homère ; ils interviennent pour séparer les combattans. Est-ce encore un vestige de ce caractère pacifique primitivement inhérent au bardisme, et qu’il doit à son origine sacerdotale.

Quant au respect dont la personne du barde irlandais était l’objet, il n’y a dans les traditions irlandaises, qu’un exemple d’un barde mis à mort, et le chef qui s’est rendu coupable de ce crime est voué à l’exécration, il est arrivé à la postérité avec le nom de tête vile, tête déshonorée[1]. Les vieilles lois irlandaises s’occupent du barde comme la loi galloise. Son vêtement et le vêtement de sa femme, sont évalués à trois vaches, ce qui est un taux assez élevé, relativement aux autres prix[2]. La harpe du barde était en Irlande un objet important aussi bien que dans le pays de Galles ; elle faisait partie des insignes de la cité royale. La harpe d’O’Brien a joué un rôle politique dans l’histoire irlandaise au xie siècle[3]. Cette harpe fut portée à Rome, elle resta dans les mains des papes jusqu’au xvie siècle. Rome, dans l’intervalle, la confia à Henri II, comme un signe de son droit sur l’Irlande. L’Irlande devait se soumettre au possesseur de la harpe et de la couronne d’O’Brien. Puis cette harpe fut envoyée de Rome à Henri VIII, comme défenseur de la foi ; on sait qu’il ne mérita pas long-temps

  1. Miss Brooke Relicks of Irish poetry, 142.
  2. Walker, Historical Memoirs of the Irish bards, 49.
  3. Walker, ibid. 61.