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cambriens, soit qu’elles aient trouvé de l’écho chez nos bardes armoricains, quelle part ces traditions ont-elles eue à la formation de cette portion de la poésie chevaleresque, où figure Arthur, et qui est connue sous le nom de cycle de la Table-Ronde ?

La part que les traditions galloises conservées dans les chants des bardes, dans les triades, dans les chroniques galloises, peuvent revendiquer dans le cycle de la Table-Ronde, n’a pas été encore exactement déterminée. M. Fauriel a parfaitement prouvé que le cycle de la Table-Ronde a emprunté ses principaux développemens, et en particulier tout ce qui se rapporte au saint Graal, à des sources qui n’ont rien de celtique.

Mais il est quelques personnages et quelques faits qui ont passé certainement de la tradition galloise dans l’épopée chevaleresque du moyen-âge. Seulement, dans ce passage, la physionomie de ces personnages et de ces faits s’est complètement métamorphosée. Ainsi Arthur, le petit chef cambrien, est devenu le conquérant du monde ; le barde-prophète Merlin a été un sorcier, fils du diable, et amoureux d’une fée. Tristram, dont le nom est gallois, est devenu le beau Tristan.

Parmi les faits appartenant à la tradition cambrienne, qui ont servi de point de départ aux inventions romanesques, et que celles-ci ont multipliés et brodés à l’infini, j’indique l’histoire du meurtre d’Arthur par le ravisseur de sa femme, son neveu Mordret. Dans cette histoire, où noms propres, mœurs, caractères, tout est gallois, et qui se trouve dans les vieilles chroniques galloises, je crois découvrir en germe l’histoire de Tristan, amoureux de la femme de son oncle, et l’histoire de Lancelot et de Genièvre, qui n’est qu’une reproduction de celle de Tristan et d’Yseult. Tristan est un personnage gallois, auquel la poésie chevaleresque a donné une physionomie chevaleresque. Lancelot est un personnage purement chevaleresque mis à la place d’un personnage gallois dans la légende, dont il est le héros, et qui est calquée sur celle de Tristan. Le rapt héroïque et brutal de la femme d’Arthur, par Mordret, a fourni le thème d’une aventure d’amour, de laquelle la poésie chevaleresque s’est complu à tirer des variations infinies de galanterie et de tendresse, jusqu’à ce qu’elle en ait fait le délicieux récit qui devait perdre Françoise de Rimini, et que Dante devait éterniser.