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GABRIEL NAUDÉ.

et les boudoirs des dames, à côté de ces poètes de cour, insoucians, très répandus, ne se mêlant guère de religion, plus occupés d’un bon dîner ou d’un madrigal agréablement tourné, que du problème de la destinée humaine, il s’était formé une autre association d’hommes lettrés et nourris de la culture grecque et latine. Ces hommes, la plupart médecins, tous enclins à un amour vif de l’érudition, succédaient à l’école savante, laborieuse, sceptique de Henri Estienne ; mais ayant de moins que ce grand homme, la persévérance au but et la hardiesse de l’entreprise, ils éparpillèrent leur science en d’ingénieux traités, en de savantes dissertations ; ils dépensèrent en monnaie courante une érudition immense, un jugement sain, un esprit vif et assez prompt à saisir le côté vrai des choses. Au xvie siècle, à part la poésie, à part Rabelais, il n’y avait guère eu de littérature en France, mais plutôt un très remarquable élan vers la science littéraire et critique. L’école dont nous parlons a mêlé la littérature à l’érudition ; après elle, il y a eu progrès, l’art a suivi sa voie, et la science la sienne. On trouve d’un côté Molière, Corneille et Racine, de l’autre Mabillon, d’Achéry et Edmond Martène. De pareils noms sans doute jettent bien de l’ombre derrière eux, et bien des torrens de lumière dans l’avenir ; mais il nous paraît juste pourtant qu’on n’oublie pas tout-à-fait ceux qui ont posé la première pierre du grand édifice littéraire, ceux qui ont ouvert à tous les trésors de la science, et qui, pleins de désintéressement et d’activité, ont vécu sans faste, obscurément, dans le silence des bibliothèques. Ce comité philosophique dont nous voulons parler, qui avait des rapports étendus avec les érudits du siècle, se bornait à un cercle étroit et intime qui ne se mêlait pas aux soirées de la cour. Gabriel Naudé est l’homme autour duquel nous essaierons de grouper les adeptes les plus remarquables de cette société savante. Ce sont là les derniers des Gaulois ; en plein xviie siècle, ils appartiennent encore par beaucoup de points au xvie ; ils sont autant latins que français ; ils savent bien l’antiquité, mais ils n’ont pu encore oublier Érasme et son siècle. Déjà en eux pourtant perce le bon et franc esprit français qu’avaient mis en vogue Rapin, Pithou et tous les auteurs de la Satyre Ményppée, bons bourgeois qui furent à peu près sous la Ligue ce que fut le cercle de Naudé sous Richelieu.

Naudé était né à Paris, dans la paroisse Saint-Méry, vers les premiers jours de février 1600. Ses parens, honnêtes gens, disent les biographes, étaient sans doute de petits marchands de ce quartier obscur et populeux. Comme le jeune enfant manifestait un grand goût pour la lecture, on lui fit faire ses études au collége d’Harcourt, sous le professeur Padet. Sa philosophie terminée, on conseilla au jeune Naudé la théologie. Mais son esprit critique, qui s’était déjà nourri de Charron et qui