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aimait assez l’allure dégagée et naïve de Montaigne, se souciait peu des syllogismes en forme de la Sorbonne, et s’arrêta à la médecine comme à une science plus positive, et qui ne l’empêcherait pas d’ailleurs de se livrer à ses goûts d’érudition littéraire et de recherches bibliographiques. C’est à cette époque, de 1620 à 1622, qu’il fit la connaissance de Guy-Patin, avec lequel il suivit les leçons de médecine de Moreau. Bien qu’étudiant encore et ayant à peine vingt ans, Naudé s’était fait connaître par un discours sur les libelles[1]. Cette publication, qui avait obtenu sans doute quelque succès, décida le président de Mesmes à prendre le jeune savant pour bibliothécaire. Quoiqu’un pareil emploi le détournât de ses études médicales, Gabriel Naudé dut l’accepter, parce qu’il favorisait cette passion pour les livres que nous verrons plus tard se développer en lui à un si haut point. On faisait grand bruit alors d’une secte d’illuminés allemands qui devinaient les mystères de la nature, à l’aide d’une lumière intérieure, et par une intuition immédiate. Le fameux démonographe Maier s’en était fait l’apologiste ; la secte avait de nombreux adeptes, comme en ont toujours les doctrines mystérieuses et surnaturelles, comme en ont trouvé en Espagne les Adombrado et plus récemment en France les convulsionnaires et le charlatanisme de Cagliostro. Naudé, voulant dessiller les yeux de l’entendement et abattre les taies et cataractes du mensonge, publia un traité contre ces frères de la Rose-Croix[2]. Il offrit son livre à M. de Guénégault, conseiller du roi en ses conseils, et il lui dit dans l’épître dédicatoire : « Je confesse ingénuement la présomption n’avoir eu telle force en mon endroit, que, donnant vol à mon ignorance, par-dessus les forces de ma capacité, elle m’ait peu persuader que ce petit liure se deust présenter au ciel estoilé de vos mérites, garni d’une telle effronterie, que d’espérer de luy pouvoir augmenter la lumière par le flambeau et petites estincelles de mes conceptions. » Malgré cette modestie, le livre de Naudé, qui avait été écrit en quinze jours, est un charmant traité plein d’une colère fort amusante contre ces ténèbrions et anacritiques frères de la Rose-Croix, qui n’étaient qu’une fange relentie et une bourbe empunaisée, troublant les plus crystalines sources de la nature. Les citations, choisies, pleines de sens et de goût, n’y envahissent pas trop le texte, comme cela a lieu dans les productions postérieures ; et, l’auteur ne voulant pas se détraquer de l’écliptique de son ouvrage, sans avoir rencontré le tropique de la vérité, est

  1. Il est intitulé Marfore, 1620, in-8o, et ne se trouve dans aucune des bibliothèques de Paris. Il a disparu à la Bibliothèque royale.
  2. Instruction à la France sur la vérité de l’histoire des frères de la Rose-Croix, 1623, in-8o, rare.