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GABRIEL NAUDÉ.

moins sujet à cette méthode digressive, qui plus tard, chez lui, devient fatigante et ôte beaucoup de leur charme au piquant de l’érudition et à la verve féconde d’un style souvent poétique et saisissant. Quoi qu’il en soit, malgré les efforts de Gabriel Naudé, et quoiqu’il ait dit « qu’après avoir fouillé, descouvert et tronçonné cet arbre à la racine, il lui serait facile de fagoter les branches et en faire des bourrées, lesquelles se réduiraient en cendres, soudain qu’elles seraient eschauffées par la moindre flamme du feu de la vérité, » les Rose-Croix trouvèrent encore long-temps des prosélytes, et un défenseur dans le trop célèbre médecin anglais Robert Fludd.

Il est probable que l’ouvrage de Naudé sur les Rose-Croix n’avait été pour lui qu’une courte distraction, au milieu des travaux plus importans dont il publia le résultat après un court voyage en Italie, pour prendre à Padoue le bonnet de docteur. La mort de son père l’ayant rappelé, il revint bientôt à Paris, et livra au public son Apologie pour les grands hommes faussement soupçonnez de magie. C’était un noble et grand projet que celui de réhabiliter tant de réputations entachées aux yeux du vulgaire de nécromancie et de supernaturalisme. L’influence encore puissante des écrits magiques et superstitieux de Delrio, de Le Loyer, de Lancre, de Godelman, répandaient partout ces croyances erronées. Les plus grands poètes de l’antiquité, les réputations les mieux établies, n’étaient pas exemptes de ces reproches de magie. Naudé justifia tour à tour Zoroastre et Pythagore, Socrate et Cardan, Thomas d’Aquin et Salomon, des sottes accusations dont on avait terni leur mémoire. Le livre de Naudé est donc un bon livre, bien conçu, quoi qu’on en ait dit, plein de science et de faits curieux ; un livre qui a fait avancer l’esprit humain et a aidé à le délivrer des préjugés qui embarrassaient sa marche. Naudé, dans cette Apologie, montre toute l’indépendance d’un jeune esprit ; il repasse tout par l’estamine de la raison ; il sent, ainsi qu’il le dit, que la fausse persuasion suit l’ignorance comme l’ombre suit le corps, et l’envie la vertu ; il se défie des témoignages imprimés et rencontrez à tâtons sans les esplucher et examiner aussi curieusement qu’ils méritent. L’instant solennel de reconstruction sociale et de transition intellectuelle dans lequel il vit ne lui échappe pas. « Ce siècle, dit-il, est plus propre à polir et aiguiser le jugement que n’a été pas un autre, à cause des changemens notables qu’il nous a fait veoir par la descouverte d’un nouveau monde, les troubles survenus en religion, l’instauration des lettres, la décadence des siècles et vieilles opinions, et l’invention de tant d’ouvrages et artifices. » L’Apologie est le seul livre de Naudé qui soit un ouvrage complet, conçu dans un but d’art et de science. Ce n’est pas sans doute ce qu’il a laissé de plus remarquable, mais c’est