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GABRIEL NAUDÉ.

douze exemplaires, pour la satisfaction du cardinal de Bagni qui n’avait « ses lectures agréables que dans la facilité des livres imprimez. » Il est en effet facile de concevoir que Naudé n’ait pas voulu publier un ouvrage qui avait été arraché à ses principes, et qui contenait d’aussi détestables doctrines. Seulement, comme le cardinal de Bagni n’aimait pas à lire les manuscrits, on en fit imprimer une douzaine d’exemplaires, qui ne devaient pas sortir du cercle resserré d’un petit nombre d’amis. Rien donc que de très naturel et de fort plausible jusqu’ici. Mais comment expliquer qu’on connaisse maintenant plus de cinquante exemplaires de la fameuse édition ? Naudé mentait-il dans la préface et voulait-il vraiment abuser de la bonne foi du public en lui donnant un livre qui était supposé écrit pour quelques amis ? Une pareille duplicité littéraire ne répugnait-elle pas au caractère de Naudé, qui n’avait d’ailleurs aucun intérêt, si cela n’eût pas été, à indiquer le nombre des volumes tirés ? Il est donc plus probable (et c’est l’avis de M. Nodier) que l’on n’a pas retrouvé jusqu’ici d’exemplaire de l’édition princeps, et que celle que nous connaissons n’est qu’une contrefaçon à petit nombre, faite sur un volume envoyé probablement à Paris par quelque ami indiscret[1]. Quoi qu’il en soit, et bien que le dessein de Naudé de n’écrire que pour le cardinal de Bagni pallie un peu sa faute, son livre n’en restera pas moins un mauvais pamphlet en faveur de la tyrannie. L’auteur d’abord se croit à une époque de décadence et où les empires vont bientôt finir, et, à ce point de vue, il lui devient nécessaire de conclure que la concentration du pouvoir peut seule sauver les états. Il perce dans ce livre de Naudé, comme dans ses autres écrits, une grande admiration pour les ministres qui gouvernent hardiment : ainsi Richelieu de son temps, d’Amboise sous Louis XII, et Sully sous Henri IV. Toute sa sympathie est acquise à ces hommes, parce qu’ils font converger la puissance vers un même centre. Il faut que rien ne leur résiste, et de là une triste conclusion à la nécessité, à la moralité même des coups d’état. Ils doivent frapper comme la foudre avant qu’on ne les entende gronder ; ils doivent ressembler à ce Nil dont les peuples ignorent la source, tout en jouissant de son embouchure. Qu’importe que la loi s’oppose aux coups d’état du prince ; le prince doit non-seulement commander selon les lois, mais encore aux lois mêmes, si la nécessité le requiert. Quant à la moralité des moyens, Naudé n’y tient guère. Le peuple lui paraît une bête à plusieurs têtes, vagabonde, errante, folle, étourdie, sans conduite, sans jugement, et de mécanique condition. En cela peut-être il a quelque raison ; mais

  1. Guy-Patin d’ailleurs dit que l’édition princeps des Coups d’état est en petits caractères. Or, l’édition connue est in-4o.