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est-ce à dire qu’il faille en inférer que les ministres doivent s’étudier à le séduire par les apparences, à le gagner par des prédications, des miracles et de bonnes plumes, propres à le mener par le nez et lui faire approuver ou condamner sur l’étiquette du sac tout ce qu’il contient ? Est-ce à dire qu’on eût bien fait de jeter quelques os en la bouche de Luther, de lui cadenasser la langue par quelque pension ou gros bénéfice ? C’est ce que la morale niera toujours, et c’est ce qu’avance Gabriel Naudé, qui, par malheur, ne s’en est pas tenu à ces erreurs, et a osé se faire l’apologiste d’un des plus grands crimes politiques dont soient ensanglantées les pages de nos annales. En un mot, et pour être quittes d’une tache qui nous répugne sur le nom de Naudé, on trouve dans les Coups d’état l’apologie de la Saint-Barthélemy. Pour qu’on ne m’accuse pas de n’insister que légèrement sur ce point, je citerai les deux plus horribles passages. « Je ne craindrai point, lit-on dès l’abord, de dire que ce fut une action très juste et très remarquable, et dont la cause était plus que légitime, quoique les effets en aient été bien dangereux. C’est une grande lâcheté, ce me semble, à tant d’historiens français d’avoir abandonné Charles IX et de n’avoir montré le juste sujet qu’il avait de se défaire de l’amiral et de ses complices…[1]. » À la page suivante, on lit encore : « Il fallait imiter les chirurgiens experts qui, pendant que la veine est ouverte, tirent du sang jusqu’aux défaillances, pour nettoyer les corps cacochymes de leurs mauvaises humeurs. Ce n’est rien de bien partir si l’on ne fournit la carrière ; le prix est au bout de la lice, et la fin règle toujours le commencement. » Jamais, je crois, l’apologie du crime n’a été écrite avec un pareil sang-froid. Il est vrai que, comme Naudé nous le dit lui-même on ne parlait pas en si mauvais termes de cette exécution en Italie qu’en France. C’est que sans doute le souvenir des processions qu’on y avait faites en actions de grâces, n’était pas encore passé. Il y a aussi à notre époque une déplorable tendance de fatalisme historique qui cherche à justifier tous les crimes de l’histoire, à substituer la nécessité à la culpabilité, le fait à l’idée, la chose accomplie à l’intention. Hommes inconséquens qui font faire à la fatalité la conquête de la liberté, espèces d’architectes en ossemens et en têtes de mort, pareils à ceux qu’on trouve à Rome dans les catacombes, ainsi que l’a dit admirablement M. de Chateaubriand. On est ainsi amené de nos jours à justifier les scènes de la Terreur et de la Saint-Barthélemy ; l’un vaut l’autre. Qu’un roi fasse feu sur son peuple ou qu’un magistrat place un orchestre à côté de l’échafaud, qu’on se nomme Charles IX ou Lebon, qu’on mette Borgia au Vatican ou Marat au Panthéon, la vérité ne doit montrer là que

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