Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/471

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
467
GABRIEL NAUDÉ.

des assassins, pour lesquels il n’est pas de baptême dans l’histoire. Le crime rend les hommes égaux, comme la mort, et il reste toujours crime, soit qu’il vienne d’une tête couronnée, ou qu’il soit l’œuvre d’un tribun.

J’ai dit tout ce qu’il y avait de condamnable dans l’ouvrage de Gabriel Naudé, sans essayer de le justifier en rien, soit par sa position forcée, soit par les idées de son temps. On trouve pourtant dans les Coups d’état plus de modération qu’on ne le pourrait croire au premier abord. Ainsi, il avoue que la matière qu’il traite est penchante vers l’injustice, que les coups d’état ne doivent venir qu’à la défensive et non à l’offensive, pour conserver la puissance et non pour l’agrandir ; qu’ils ne doivent apparaître que comme des comètes, des tremblemens de terre et des éruptions ; qu’il y faut procéder en juge, non en partie, en médecin, non en bourreau ; qu’ils ne doivent se trouver dans la vie des rois que comme sur les médailles des hérétiques, où il y a un pape d’un côté et un diable de l’autre. Naudé, selon la mode de son temps, croit que tout a été finesse et tromperie dans l’histoire, et il va même (jugement singulier chez lui !) jusqu’à ranger dans ce nombre la conversion de Clovis et les miracles de Jeanne d’Arc. Pourtant, on trouve çà et là dans son livre des idées libérales, qui font singulière figure au milieu de la politique despotique et cruelle qui y est prêchée à toutes les pages. Ainsi, il dit quelque part qu’il ne faut pas assigner de bornes à la clémence des rois, parce qu’elle est comme l’infini et qu’elle ne doit pas avoir de limites. Plus loin, il veut que les emplois soient abordables à tous, et à ce propos il ajoute que, malgré son estime pour la noblesse, il préfère le soleil, qui produit du dedans la lumière, à la lune, qui la reçoit du dehors. Les tortures lui paraissent aussi injustes, et il ose écrire que le maréchal d’Ancre n’eût pas été moins justement puni, quand on ne l’eût point traîné et déchiré. Quant aux limites que doit avoir l’obéissance envers les rois, il n’ose guère aborder la question. Cette détermination du pouvoir royal eût été curieuse dans sa bouche. Voici les seuls passages que j’ai trouvés dans ses Coups d’état sur ce sujet : « Quand le souverain use de son pouvoir autrement que le bien public ou le sien, qui n’en est point séparé, le requiert, il fait plutôt ce qui est de la passion et de l’ambition d’un tyran que l’office d’un roi. » Ailleurs, on trouve même cette pensée plus avancée, que « les sujets ont le droit de donner ordre aux déportemens d’un tyran. »

De l’esprit général des ouvrages politiques de Naudé ressort, nous l’avons dit, une grande sympathie pour les ministres supérieurs qui s’emparent de la puissance, et qui sont comme une incarnation du pouvoir. Il se plaît à tracer le portrait du ministre dont il se fait un idéal. « Je veux qu’il vive dans le monde comme s’il en était dehors, et au-dessous du