Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 7.djvu/518

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
514
REVUE DES DEUX MONDES.

dans ce siècle où ils présentent tous un si juste mélange. On a récemment cherché, en réhabilitant l’hôtel de Rambouillet, à en montrer l’héritière accomplie et triomphante dans la personne de Mme de Maintenon ; un mot de Segrais trancherait plutôt en faveur de Mme de La Fayette pour cette filiation directe où tout le précieux avait disparu : après un portrait assez étendu de Mme de Rambouillet, il ajoute incontinent : « Mme de La Fayette avait beaucoup appris d’elle, mais Mme de La Fayette avait l’esprit plus solide, etc., etc. » Cette héritière perfectionnée de Mme de Rambouillet, cette amie de Mme de Sévigné toujours, de Mme de Maintenon long-temps, a son rang et sa date assurée en notre littérature, en ce qu’elle a réformé le roman, et qu’une part de cette divine raison qui était en elle, elle l’appliqua à ménager et à fixer un genre tendre où les excès avaient été grands, et auquel elle n’eut qu’à toucher pour lui faire trouver grace auprès du goût sérieux qui semblait disposé à l’abolir. Dans ce genre secondaire où la délicatesse et un certain intérêt suffisent, mais où nul génie (s’il s’en rencontre) n’est de trop ; que l’Art poétique ne mentionne pas, que Prévost, Le Sage et Jean-Jacques consacreront ; et qui, du temps de Mme de La Fayette, confinait du moins dans ses parties élevées aux parties attendrissantes de la Bérénice ou même de l’Iphigénie, Mme de La Fayette a fait exactement ce qu’en des genres plus estimés et plus graves ses contemporains illustres s’étaient à l’envi proposé. L’Astrée, en implantant, à vrai dire, le roman en France, avait bientôt servi de souche à ces interminables rejetons, Cyrus, Cléopâtre, Polexandre et Clélie. Boileau y coupa court par ses railleries, non moins qu’à cette lignée de poèmes épiques, le Moïse sauvé, le Saint Louis, la Pucelle ; Mme de La Fayette, sans paraître railler, et comme venant à la suite et sous le couvert de ces devanciers que Segrais et Huet distinguaient mal d’elle et enveloppaient des mêmes louanges, leur porta coup plus que personne par la Princesse de Clèves. Et ce qu’elle fit, bien certainement elle s’en rendit compte et elle le voulait faire. Elle avait coutume de dire qu’une période retranchée d’un ouvrage valait un louis d’or, et un mot vingt sous : cette parole a toute valeur dans sa bouche, si l’on songe aux romans à dix volumes dont il fallait avant tout sortir. Proportion, sobriété, décence, moyens simples et de cœur substitués aux grandes catastrophes et aux grandes phrases, tels sont les