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ROMANCIERS DE LA FRANCE.

expressément contraire aux Maximes ; qu’elle les lui eût fait corriger et retrancher si elle l’avait environné avant comme depuis, et que le La Rochefoucauld misanthrope, celui qui disait qu’il n’avait trouvé de l’amour que dans les romans, et que, pour lui, il n’en avait jamais éprouvé, n’est pas celui dont elle disait plus tard : « M. de La Rochefoucauld m’a donné de l’esprit, mais j’ai réformé son cœur. »

Dans un petit billet de sa main (inédit) à Mme de Sablé, qui avait elle-même composé des Maximes, je lis : « Vous me donneriez le plus grand chagrin du monde si vous ne me montriez pas vos Maximes. Mme Du Plessis m’a donné une curiosité étrange de les voir, et c’est justement parce qu’elles sont honnêtes et raisonnables que j’en ai envie, et qu’elles me persuaderont que toutes les personnes de bon sens ne sont pas si persuadées de la corruption générale que l’est M. de La Rochefoucauld. » C’est cette idée de corruption générale qu’elle s’attacha à combattre en M. de La Rochefoucauld et qu’elle rectifia. Le désir d’éclairer et d’adoucir ce noble esprit fut sans doute un appât de raison et de bienfaisance pour elle aux abords de la liaison étroite.

L’ancien chevalier de la Fronde, devenu amer et goutteux, n’était pas au reste ce qu’on pourrait se figurer d’après son livre seul. Il avait peu étudié, nous dit Segrais, mais son sens merveilleux et sa science du monde suppléaient à l’étude. Jeune, il avait donné dans tous les vices de son temps et s’en était retiré avec l’esprit plus sain que le corps, si l’on pouvait appeler sain quelque chose d’aussi chagriné. Cela n’empêchait en rien la douceur de son commerce et son agrément infini. Il était la bienséance parfaite, continue, et gagnait chaque jour à être vu de plus près. Homme de la conversation particulière, un ton de plus ne lui allait pas. S’il lui avait fallu parler devant cinq ou six personnes un peu solennellement, la force lui aurait manqué, et la harangue qui était d’usage pour l’Académie française, l’en détourna. En juin 1672, quand, un soir, la mort de M. de Longueville, celle du chevalier de Marsillac, son petit-fils, et la blessure du prince de Marsillac, son fils, quand toute cette grêle tomba sur lui, nous dit Mme de Sévigné, il fut admirable à la fois de douleur et de fermeté : « J’ai vu son cœur à découvert, ajoute-t-elle, en cette cruelle aventure ; il est au premier rang de ce que j’ai jamais vu de courage, de