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MANUSCRIT DE SANCHUNIATHON.
fille ; Isroas y consent, et Déisone choisit Mélicerte : car il était aussi beau qu’Isroas[1] était laid.
Mélicerte alors célèbre son épouse dans des chants qui s’étaient conservés jusqu’au temps de Sanchuniathon et que l’on chantait à la fête de ce héros. Mais Isroas vint pour enlever de force Déisone, et assiégea la tour de Mélicerte. En vain celui-ci tenta de l’apaiser. « Le vautour tue le vautour, et le cèdre de la montagne renverse son frère dans sa chute. Mais pourquoi désires-tu le combat, pourquoi veux-tu la guerre contre ton frère ? Tu connais mon courage ; je ne voudrais pas te rencontrer dans le combat. Ne sommes-nous pas, ô mon frère, deux torrens, qui s’élancent du même ravin ? Pourquoi cherches-tu le combat contre moi, Isroas ? » Lorsque Isroas vit qu’il ne pouvait point s’emparer de la jeune fille, il la perça de loin d’une flèche, afin que son frère ne pût pas non plus en jouir. Mélicerte accourt et la trouve morte. Il la pleura trois jours, et demanda alors aux Cabires des vaisseaux avec lesquels, à la tête de ses nombreux compagnons, il fait route vers Cittium, dont les habitans étaient alors en guerre avec les montagnards. Aidés par Mélicerte, les Cittiens remportent la victoire, et en reconnaissance de ce service, ils veulent que le héros devienne leur roi. Mais lui part pour la côte située en face de Cittium, où demeurait le frère de son père, nommé Jurus. Le récit de l’entrevue de Mélicerte avec le vieillard aveugle est fort touchant.
Là il s’arrête quelque temps : car la mer est orageuse et les vents soufflent avec violence. Jurus, sentant approcher sa fin, donne sa bénédiction à Mélicerte, d’après un ancien usage de l’Orient, l’exhorte à continuer son voyage, et lui prédit l’avenir : « Tu triompheras d’une mer inconnue, et le premier de tous les mortels tu verras les bornes de la terre. Tu deviendras si grand, que Kronos et les autres dieux te regarderont comme leur égal. »
Jurus mourut ; Mélicerte l’ensevelit et le pleura trois jours. Le quatrième jour il se relève, se purifie, et s’embarque avec ses compagnons pour continuer son voyage. Mais une violente tempête les fit long-temps errer sur la mer. Enfin ils entrèrent dans une baie, mais comme il s’y trouvait un grand nombre de bas-fonds, ils essuyèrent un naufrage où quelques hommes de l’équipage périrent. Cependant le plus grand nombre échappa aux dangers et atteignit le rivage.
D’abord ils formèrent le dessein de se construire un nouveau vaisseau sur cette plage ; mais ils furent contraints d’y renoncer parce que les forêts du pays ne leur offraient pas de bois de construction, et que d’ailleurs,
  1. En hébreu Ich roa, l’homme de la méchanceté, l’homme de la laideur. W.