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intérieur de la pensée qui expérimente sur elle-même. Mais l’auteur, qui recommande si souvent cette méthode expérimentale, ne dit pas très nettement en quoi elle consiste, et comment elle opère pour saisir et constater les faits intellectuels. Son explication est négative. (Pag. 131.) « Je n’entends, par expérience, ni l’observation intérieure, sensible, qui ne nous donne que des sensations diverses, multipliées et variables, ni même l’observation intime, dirigée sur des phénomènes internes, aussi variables, aussi fugitifs, que les phénomènes du monde externe. » Nous sommes réduits à interpréter la pensée du philosophe. Il prétend sans doute que l’expérience se manifeste par des résultats, c’est-à-dire par l’acquisition de certaines vérités incontestables. Pour éviter le reproche d’avoir obscurci son système, empruntons de lui le fait le plus clair : c’est donner en même temps une idée de la clarté du reste de l’ouvrage. (Pag. 52.) « Le fait le plus clair et le plus approfondi auquel puisse parvenir la réflexion, c’est la conscience immédiate, 1o de deux termes finis, le moi et la nature extérieure, phénomènes variables, se limitant l’un l’autre ; 2o d’un être infini : l’aperception de ce dernier terme rend seule possible l’aperception du fini, comme à son tour la vue du fini est la condition indispensable de la vue de l’infini. »

Résumons. La conscience, après avoir expérimenté, peut affirmer l’existence de trois faits : le moi ou l’individu, le non-moi ou la nature, et la loi de ces deux termes, qui est l’infini, l’absolu, la vérité immatérielle et nécessaire. Maintenant, quelles facultés intellectuelles ont été mises en jeu pour arriver à la connaissance de ces trois élémens ? L’éclectisme, en vertu de son omnipotence, emprunte à Locke et à ses disciples français une faculté passive, la sensibilité ; aux écoles écossaise et allemande, une faculté active, la volonté. Puis, avançant que ces facultés sont impuissantes pour arriver à la notion de l’absolu, il déclare (pag. 16 et 55) « qu’il existe un troisième élément qui n’a pas encore été suffisamment analysé ni décrit, la raison, prise, non comme faculté, mais comme règle de nos jugemens, raison impersonnelle, qui n’est ni l’image du monde sensible, ni l’œuvre de la volonté, mais, pour ainsi dire, le reflet de la vérité dans l’individu. »

Annoncer en termes généraux que le moi humain est constitué par la sensibilité, la volonté et la raison, est-ce rendre compte des phénomènes intellectuels ? À coup sûr, les philosophes de profession n’accepteraient pas pour une analyse de la pensée une proposition conçue en des termes aussi vagues. Notre éloignement pour les querelles de mots nous rendra plus concilians, et nous certifierons, si l’on veut, la grande découverte de l’éclectisme, à savoir, que l’homme est à la fois actif, passif, et… non pas raisonnable, mais raisonneur, suivant la variante proposée jadis par