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REVUE LITTÉRAIRE.

par tomber sous les coups d’un novice qui l’attaque résolument avec les armes de la nature, le sens commun.

Il se trouve encore quelques hommes de conscience et de bonne intention, pour qui la philosophie est la recherche du vrai. Mais, par une inconcevable fatalité, ils font de leur science une algèbre indéchiffrable pour quiconque ne veut pas subir un apprentissage rebutant. L’appât des découvertes les conduit dans des voies non frayées, sans lumière et sans issues, et lorsque après mille divagations ils se retrouvent en présence du public, ils ont oublié la langue qu’il faut parler pour en être compris. Le bon sens naïf, qui fait les grands, les vrais philosophes, est plus rare encore que la naïveté de sentiment qui fait les grands poètes.

iii. — ÉCONOMIE POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE.

Les publications relatives aux généralités de la politique souffrent de la défaveur qui pèse en ce moment sur les systèmes abstraits. Les libraires en risquent fort peu. On a réimprimé divers fragmens des discours ou écrits polémiques de Benjamin Constant, qui, heureusement disposés, ont pu être présentés comme un Cours de politique constitutionnelle. La vie, les doctrines et l’influence du célèbre publiciste ont inspiré à M. Pagès (de l’Ariège) quelques pages très remarquables qu’il a placées comme introduction en tête de l’ouvrage. Un historien, dont l’expérience s’est formée au spectacle des grands événemens, M. de Sismondi, vient de livrer des Études sur les constitutions des peuples libres. C’est un calcul de probabilités à l’usage de ceux qui sont intéressés au jeu des passions, soit dans les masses, soit dans les êtres privilégiés en qui se personnifie le pouvoir. L’auteur procède à l’analyse des élémens sociaux, et s’efforce de déterminer leurs lois d’affinités et de répulsion : mais il fait remarquer sagement que les inductions, tirées du rapprochement des faits connus, n’ont pas dans la pratique une valeur absolue, et qu’on s’exposerait à de grands mécomptes, si l’on appliquait les prescriptions des docteurs en politique avant d’avoir étudié le tempérament des peuples. Faut-il conclure de là que le savoir des hommes d’état n’est pas autre chose que du savoir-faire ? C’est aujourd’hui l’avis de bien des gens.

On sait que les constructions ruinent presque toujours ceux qui les entreprennent. On songe donc moins à rebâtir qu’à réparer. Les esprits se tournent vers l’utile et le possible. La presse répand un déluge de livres et de brochures sur toutes les matières administratives. Au lieu de déclamer contre les abus, on indique de petites améliorations dont la somme réalisée procurerait un grand bien. Il est remarquable que presque tous ces écrits témoignent d’un dévouement instinctif aux intérêts du plus