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son pouvoir : chroniques imprimées et manuscrites, chartes, diplômes, documens contemporains de toute espèce, il a tout étudié, discuté et éclairci. Une connaissance approfondie des monumens et de la littérature des peuples méridionaux lui a fourni une multitude de renseignemens précieux. Enfin, il a visité, parcouru à plusieurs reprises le théâtre des évènemens. De là, un coloris séduisant dans les descriptions et une exactitude géographique qui ne pouvait être poussée plus loin.

Un hasard heureux pour la science a fait concourir avec la publication du livre de M. Fauriel, celle d’un savant mémoire de M. Reinaud sur les invasions des Sarrazins dans le midi de la France[1]. Bien que conçu dans un but et sur un plan tout différent, l’ouvrage de M. Reinaud complète et contrôle quelquefois celui de M. Fauriel dans ce qui regarde les invasions arabes. Tous deux ont l’immense avantage d’avoir puisé aux sources originales, et profité des chroniques arabes. Jusqu’ici, en effet, nous ne connaissions sur ces évènemens que le témoignage des chroniqueurs chrétiens, et l’on sait combien ils sont arides et incomplets.

M. Reinaud a divisé son livre en quatre parties ; dans la première, il raconte les irruptions des Sarrazins par les passages des Pyrénées jusqu’à leur expulsion du Languedoc par Pépin-le-Bref en 759. Les évènemens qui remplissent cette période importante ne nous paraissent pas avoir été racontés avec assez de détails ; on n’a le temps de connaître ni les hommes ni les choses. C’est une énumération exacte, curieuse, mais froide, et un peu sèche. Pour n’en citer qu’une preuve, la bataille de Poitiers, dont M. Fauriel donne un tableau si vivant et si dramatique, occupe à peine quelques lignes dans l’ouvrage de M. Reinaud. La seconde partie est consacrée aux invasions des Sarrazins, venant de différens côtés par terre ou par mer, jusqu’à leur établissement sur les côtes de Provence vers l’an 889. Comme le fait très bien remarquer M. Reinaud, dans cette seconde période, le caractère des invasions a tout-à-fait changé. Durant la première époque, les Sarrazins envahissaient la France, non-seulement avec l’intention de la conquérir et d’y faire fleurir l’islamisme, mais encore avec le projet de subjuguer tout le reste de l’Europe, et de faire de cette partie du monde une province de l’empire des khalifes. Les chefs de l’armée conquérante, dont quelques-uns avaient vu le prophète et qui étaient tous originaires de l’Arabie ou de la Syrie, étaient sans cesse ramenés vers l’Orient par toutes leurs pensées. Dans la seconde époque, les Arabes divisés et affaiblis par des guerres intestines, cessent de se livrer à des entreprises hardies, et d’ailleurs les populations chrétiennes réunies sous l’empire de Pépin et de Charlemagne ont pris plus d’ascendant. En gé-

  1. 1 vol.  in-8o, chez Dondey-Dupré, rue Vivienne, 2.