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ouvrages dont la lecture est un délassement. Il est vrai qu’il ne date pas de notre siècle, et que celui qui l’a écrit ne se croyait pas obligé de soutenir son rôle d’auteur en face d’un public. Ce sont des lettres adressées à quelques amis par un érudit de premier ordre, un vrai connaisseur en fait d’art, et par-dessus tout, un homme d’esprit. Le président de Brosses, ayant entrepris de recomposer l’histoire romaine de Salluste avec les fragmens disséminés qui nous en restent, fit en 1739 le voyage d’Italie, pour recueillir les élémens du grand ouvrage auquel il consacra quarante années. C’est sa correspondance qui vient d’être publiée par M. R. Colomb, sous ce titre : l’Italie il y a cent ans[1]. Antiquités, palais, tableaux, littérature, gouvernemens, aspects généraux de la société, physionomies curieuses, rien n’échappe à l’infatigable visiteur. Sa fortune et son mérite déjà apprécié lui donnent accès partout. Le hasard même le favorise. Un conclave a lieu pendant son séjour à Rome. Il tient journal de toutes les intrigues, et trace un épisode piquant de l’histoire ecclésiastique, en racontant les tours de Scapin qui se renouvellent chaque fois qu’il s’agit de donner un chef au monde chrétien. Il se trouve à Naples pendant les fouilles entreprises pour déblayer Herculanum, et transmet à l’Académie des Inscriptions le premier cri de surprise qu’a causé cette miraculeuse trouvaille. Il explique à Buffon l’action dévorante du Vésuve, qu’on force à rendre sa proie après dix-sept siècles. L’appréciation des œuvres d’art tient une grande place dans la correspondance du président. Il veut tout voir. Il se lance d’instinct sur la trace des maîtres, sans craindre cette lassitude que les voyageurs ont souvent éprouvée sur une terre encombrée de curiosités. Une fois seulement, à Venise, il s’avoue vaincu par le Tintoret, dont il se contente d’examiner mille à douze cents tableaux. Évidemment, Charles de Brosses possédait les connaissances positives, les secrets de la pratique, sans lesquels les jugemens en fait d’art manquent toujours de solidité. L’opinion qu’il émet lui appartient. Son enthousiasme est franc et sans idolâtrie. Après avoir admiré les deux sibylles dont l’exécution, d’une pureté exquise, éleva Raphaël, jeune encore, au rang des maîtres, il place sur la même ligne deux figures peintes en regard par un artiste oublié, Timoteo della Vite. Cette piquante correspondance pourrait néanmoins avoir un grand tort aux yeux de certaines gens. Elle substitue l’Italie véritable à celle des poètes et des romanciers, si favorable aux coups de théâtre, aux caractères tranchés. Il ruine sans pitié une des plus fécondes ressources de la scène moderne. Voici, par exemple, ce qu’il écrit de Venise : « Le sang est si doux ici que, malgré la facilité que donnent les masques, les allures de

  1. vol. in-8o. Chez Levavasseur, libraire, place Vendôme.