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pillent l’intérêt dans les détails, et qui, par l’heureux agencement des groupes, par l’esprit de leur coloris, donnent un sens et de l’expression à des scènes nulles par elles-mêmes, à des objets inaperçus et muets dans la vie réelle. Les ouvrages de ce genre peuvent exciter sur l’instant de l’émotion ou du plaisir, mais ils ne laissent dans les souvenirs qu’une confusion pénible. Il n’y a pas d’impressions grandes et durables sans l’unité d’intention, sans la franchise des moyens. C’est surtout à ceux qui font preuve de puissance qu’on doit la vérité toute entière, et en ce sens l’œuvre de M. Karr nous autorise à lui rappeler les conditions immuables du succès.

Dans le Chemin le plus court, la figure du principal personnage est heureusement trouvée. C’est bien là un des types de l’époque. L’allure somnolente de Hugues répond parfaitement au vagabondage de son esprit. Il est si candide d’ailleurs, si parfaitement inoffensif, qu’on se prend tout d’abord à l’aimer, et qu’on souffre plus que lui-même des obstacles qu’il rencontre, des duperies dont il est victime. Cependant, en le suivant de plus près, on serait forcé de reconnaître que ce jeune homme, si complètement enguignonné, est en quelque sorte coupable des mésaventures qui lui arrivent : on verrait que toute son ambition est de vivre sans souci, sans fatigue, et pour lui seul ; de caresser nonchalamment ses moindres sensations, et de se laisser végéter dans cette demi-ivresse que procurent les arts ; que Hugues enfin, sans but, sans fonctions, à qui manque, non pas la force, mais assez d’énergie pour en faire usage, n’a peut-être pas le droit de se plaindre d’une société au milieu de laquelle il est absolument inutile. Cette conclusion ne ressort pas nettement du livre de M. Karr, et peut-être n’était-elle pas dans son intention ; et cependant cet écrivain fait si souvent preuve d’un sens droit, d’une ironie fine et pénétrante, qu’il ne tiendrait qu’à lui de mettre en saillie une pensée utile, et de donner ainsi à ses fictions l’ampleur et l’autorité qui leur manquent. Nous ne lui citerons pas d’autres modèles que lui-même. Il faudrait que sa touche fût toujours aussi franche que dans le portrait de cette belle-mère dont l’intervention officieuse fait de l’intérieur des jeunes époux un véritable enfer ; il faudrait surtout qu’à l’avenir, il dégageât son œuvre de digressions que rien ne justifie, des thèses paradoxales qui ne sont que des remplissages, des boutades que tous les lecteurs peut-être ne trouvent pas de bon goût. Par exemple, l’auteur interrompt son récit pour aller voir si l’orage n’a pas endommagé ses fleurs, ou bien il laisse deux pages en blanc, invitant chacun à les remplir selon les ressources de son esprit ; ou bien encore, il divise une page en deux colonnes, pour mettre en regard ce que pensent deux de ses personnages. Tout ce que nous pouvons dire de ces fantaisies, c’est que les écrivains de quelque poids n’ont jamais eu la faiblesse d’y céder. Ceux qui ont de l’origina-