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timens subis en silence, des blandices ignorées, des convictions immarcessibles. Un parfum de femme brille dans l’ame du héros, et cette femme parle avec une voix d’or. Quand un auteur se permet de semblables licences, l’éditeur devrait, comme pour les écrits des vieux âges, faire suivre le volume par un glossaire des mots difficiles.

La fécondité s’explique encore par le défaut opposé au néologisme, la pâleur et le manque de caractère. Ce défaut est trop souvent celui du style du bibliophile Jacob. En revanche, il peut offrir à la curiosité des lecteurs les ressources d’une piquante érudition. C’est ce qui soutiendra son dernier roman : Pignerol, histoire du temps de Louis XIV[1]. Après toutes les dissertations qui ont si bien embrouillé l’histoire de l’homme au masque de fer, qu’elle est devenue la plus inextricable énigme, le bibliophile hasarde une nouvelle conjecture. Selon lui, le malheureux prisonnier ne serait autre que le surintendant Fouquet, qui, puisant sans pudeur dans les coffres de l’état pour assouvir ses galans caprices, aurait attiré l’implacable ressentiment du roi, en souillant de ses désirs Mlle de La Vallière. Condamné en 1664, après trois années de procédure, enfermé dans le donjon de Pignerol, sous la garde du farouche Saint-Mars, et enfin, surpris en flagrant délit d’évasion après une captivité de seize ans, Fouquet, dont on annonce la mort, est inhumé en effigie, mais réellement enfermé dans cet affreux tombeau de fer, où il doit rester encore vingt-trois ans. Telle est la version du bibliophile. Nous ne savons pas si elle supporterait l’épreuve de la controverse historique ; mais nous croyons que le drame intéressant qui la développe est de nature à la mettre en crédit : l’émotion qu’il provoque est si forte, qu’on a peine à l’attribuer à des infortunes imaginaires.

Nous éviterons de nous prononcer sur quelques ouvrages que des noms justement estimés paraissaient recommander au public. On doit le silence aux erreurs du talent. Quant à cette lourde pacotille qu’on lance à tout hasard sur l’océan capricieux, nous n’entreprendrons pas d’en faire l’inventaire. Ce serait d’ailleurs un affligeant travail. S’il était possible de classer les deux cents volumes de romans publiés en ces derniers mois, on les verrait descendre, par une imperceptible dégradation, jusqu’à la plus incurable niaiserie, jusqu’à l’impudente nullité. Contentons-nous de signaler quelques traits de physionomie générale qui permettent de constater dans le genre une tendance nouvelle. Reportons nos souvenirs à trois années. Le roman n’était rien moins alors que l’épopée des temps modernes : son cadre et ses machines constituaient la forme par excellence, et il ne reculait devant aucune des grandes questions historiques ou

  1. vol. in-8o. Chez Renduel, rue des Grands-Augustins, 22.