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non-seulement les ouvrages dialogués, mais toutes les inventions modernes de l’imagination, sous le prétexte qu’elles étaient dramatiques. Il y avait bien là quelque galimatias, mais enfin c’était quelque chose. Le drame nous apparaissait comme un prêtre respectable qui avait marié, après tant de siècles, le comique avec le tragique ; nous le voyions, vêtu de blanc et de noir, riant d’un œil et pleurant de l’autre, agiter d’une main un poignard, et de l’autre une marotte ; à la rigueur, cela se comprenait, les poètes du jour proclamaient ce genre une découverte toute moderne : « La mélancolie, disaient-ils, était inconnue aux anciens ; c’est elle qui, jointe à l’esprit d’analyse et de controverse, a créé la religion nouvelle, la société nouvelle, et introduit dans l’art un type nouveau. » À parler franc, nous croyions tout cela un peu sur parole, et cette mélancolie inconnue aux anciens ne nous fut pas d’une digestion facile. Quoi ! disions-nous, Sapho expirante, Platon regardant le ciel, n’ont pas ressenti quelque tristesse ? Le vieux Priam redemandant son fils mort, à genoux devant le meurtrier, et s’écriant : « Souviens-toi de ton père, ô Achille ! » n’éprouvait point quelque mélancolie ? Le beau Narcisse, couché dans les roseaux, n’était point malade de quelque dégoût des choses de la terre ? Et la jeune nymphe qui l’aimait, cette pauvre Écho si malheureuse, n’était-elle donc pas le parfait symbole de la mélancolie solitaire, lorsque, épuisée par sa douleur, il ne lui restait que les os et la voix ? D’autre part, dans la susdite préface, écrite d’ailleurs avec un grand talent, l’antiquité nous semblait comprise d’une assez étrange façon. On y comparait, entre autres choses, les furies avec les sorcières, et on disait que les furies s’appelaient Euménides, c’est-à-dire douces et bienfaisantes, ce qui prouvait, ajoutait-on, qu’elles n’étaient que médiocrement difformes, par conséquent à peine grotesques. Il nous étonnait que l’auteur pût ignorer que l’antiphrase est au nombre des tropes, bien que Sanctius ne veuille pas l’admettre. Mais passons ; l’important pour nous était de répondre aux questionneurs : « Le romantisme est l’alliance de la comédie et de la tragédie, ou, de quelque genre d’ouvrage qu’il s’agisse, le mélange du bouffon et du sérieux. » Voilà qui allait encore à merveille, et nous dormions tranquilles là-dessus. Mais que pensai-je, monsieur, lorsqu’un matin je vis Cotonet entrer dans ma chambre avec six petits volumes sous le bras ! Aristophane, vous le savez,