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SUR L’ABUS DES ADJECTIFS.

est, de tous les génies de la Grèce antique, le plus noble à la fois et le plus grotesque, le plus sérieux et le plus bouffon, le plus lyrique et le plus satirique. Que répondre lorsque Cotonet, avec sa belle basse-taille, commença à déclamer pompeusement l’admirable dispute du juste et de l’injuste[1], la plus grave et la plus noble scène que jamais théâtre ait entendue ? Comment, en écoutant ce style énergique, ces pensées sublimes, cette simple éloquence, en assistant à ce combat divin entre les deux puissances qui gouvernent le monde, comment ne pas s’écrier avec le chœur : « Ô toi qui habites le temple élevé de la sagesse, le parfum de la vertu émane de tes discours ! » Puis, tout à coup, à quelques pages de là, voilà le poète qui nous fait assister au spectacle d’un homme qui se relève la nuit pour soulager son ventre[2]. Quel écrivain s’est jamais élevé plus haut qu’Aristophane dans ce terrible drame des Chevaliers où paraît le peuple athénien lui-même personnifié dans un vieillard ? Quoi de plus sérieux, quoi de plus imposant que les anapestes où le poète gourmande le public, et que ce chœur qui commence ainsi : « Maintenant, Athéniens, prêtez-nous votre attention, si vous aimez un langage sincère[3]. » Quoi de plus grotesque en même temps, quoi de plus bouffon que Bacchus et Xanthias[4] ? quoi de plus comique et de plus plaisant que cette Myrrhine, se déchaussant à demi nue, sur le lit où son pauvre époux meurt d’abstinence et de désirs[5] ? À voir cette rusée commère, plus rouée que la rouée Merteuil, les spectateurs eux-mêmes devaient partager le tourment de Cinésias, pour peu que la scène fût bien rendue. Dans quelle classification pourra-t-on jamais faire entrer les ouvrages d’Aristophane ? quelles lignes, quels cercles tracera-t-on jamais autour de la pensée humaine, que ce génie audacieux ne dépassera pas ? Il n’est pas seulement tragique et comique, il est tendre et terrible, pur et obscène, honnête et corrompu, noble et trivial, et au fond de tout cela, pour qui sait comprendre, assurément il est mélancolique. Hélas ! monsieur, si on le lisait davantage, on se dispenserait de beaucoup parler, et

  1. Dans les Nuées
  2. Dans les Harangueuses.
  3. Dans les Guêpes.
  4. Dans les Grenouilles.
  5. Dans Lysistrate.