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LA PRESSE EN ANGLETERRE.

d’écrire leurs notes sur leurs genoux. Aujourd’hui on leur accorde, dans la chambre des lords, le premier banc de la galerie publique (stranger’s gallery) ; dans la chambre des communes, on leur a réservé une galerie particulière, placée au-dessus du siége de l’orateur (speaker), et d’où ils entendent beaucoup mieux les discussions qu’on ne peut les saisir du haut des cages à colonnes où les sténographes de nos journaux ont été relégués par les questeurs.

Si le point de vue commercial a dominé dans la forme et dans l’organisation des journaux anglais, cela vient encore de la liberté même dont l’usage les a mis en possession. Tout homme pouvant faire le métier d’imprimeur, et tout imprimeur, pourvu qu’il ait des capitaux, pouvant lancer un journal dans la circulation, il en résulte que les feuilles politiques représentent des intérêts plutôt que des opinions. En France, on annexe communément une imprimerie à l’exploitation d’un journal. En Angleterre, une entreprise de journal n’est souvent que l’annexe d’une imprimerie. Ce ne sont pas des hommes qui s’associent dans le but de propager leurs convictions ; ce sont des capitaux qui se groupent, attirés par l’appât d’un bon placement[1].

Il ne faut pas se représenter l’éditeur d’un journal anglais comme un éclaireur de parti qui marche à la propagande des opinions ou à l’assaut du pouvoir. S’il se place d’un côté plutôt que d’un autre, c’est qu’il a calculé les chances de succès, et qu’il croit avoir choisi la plus sûre. Le calcul se fait de nouveau dans les grandes occasions ; chaque évènement est mesuré à la toise de l’intérêt personnel ; on met aux voix l’opinion de l’année, du mois, du jour : de là ces inconséquences si fréquentes dans le langage des journaux[2].

La pensée d’un journal n’est point dans ses rédacteurs ; et, pour tout dire, un journal n’a pas de rédacteurs qui lui communiquent

  1. Nous voyons le même phénomène se reproduire en France dans la presse des départemens. Éloignée du centre des affaires et du mouvement des opinions, comment représenterait-elle réellement les partis ? Elle appartient de droit à la spéculation et aux seuls spéculateurs possibles dans les départemens, aux imprimeurs du chef-lieu.
  2. On raconte publiquement à Londres que, lorsque le Times se décida, après beaucoup d’hésitations, à prendre parti pour la reine contre George IV, cette résolution, qui fut la source de sa fortune, n’avait été arrêtée dans le conseil des propriétaires qu’à la majorité d’une voix.