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leur force et qui en reçoivent la leur. On ne sait même pas, en Angleterre, ce que c’est que les rédacteurs d’un journal. L’éditeur, propriétaire lui-même, ou commis des propriétaires, a sous lui, comme des commis aux écritures, des sténographes ou reporters, qui rendent compte des séances du parlement, des tribunaux et des meetings ; des correspondans commerciaux et politiques dans la cité et au dehors ; enfin des sous-éditeurs qui commentent les nouvelles dans le style qui est compris des chefs de fabrique et de comptoir. Le reporter est le type du journaliste anglais, espèce de greffier qui se regarde comme chargé de dresser procès-verbal des évènemens.

Cette habitude de prendre les faits pour des faits, et de les enregistrer à peu près sans critique, doit rendre les journalistes assez indifférens aux variations d’opinion. Ils jouent véritablement à la hausse ou à la baisse, et, comme des joueurs expérimentés, ils imposent silence à leurs sentimens. Si, par hasard, leur voix s’élève, ce n’est pas une émotion qui éclate en eux, c’est une impression qu’ils ont reçue du public et qu’ils lui renvoient.

L’organisation de la presse anglaise la met dans la dépendance la plus complète de ses lecteurs. Les journaux n’ont pas d’abonnés et n’arrivent au public que par l’intermédiaire des newsmen, espèces de libraires qui en achètent tous les matins un certain nombre d’exemplaires qu’ils font circuler à tant par heure dans le quartier pendant la journée, pour les expédier ensuite le soir en province, à prix réduit. Dès cinq heures du soir, il est impossible de trouver à Londres une feuille du matin, excepté dans les clubs et dans quelques établissemens publics. Au sein d’un pays où le moindre chef d’atelier a sa bibliothèque, personne ne fait collection des journaux ; leur clientelle est remise tous les jours en question.

Il en est de cela comme des baux à courte échéance. Un fermier qui n’occupe la terre que pour un, trois ou cinq ans, s’inquiète peu d’améliorer la culture, car les améliorations pourraient ne profiter qu’à son successeur. De même, un journaliste qui n’est pas assuré de retrouver le lendemain les lecteurs de la veille, ne prendra l’initiative d’aucune grande pensée. Il n’ira pas heurter leurs préjugés, de peur que le temps ne lui manque pour les éclairer ; il mettra tous ses soins à sonder l’opinion, afin de pouvoir se l’attacher en la suivant et en la flattant.