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difficile de se procurer ici de bons chevaux. Pendant l’hiver on ne leur donne qu’une chétive ration, ils dépérissent jusqu’à ce qu’au printemps on les reconduise dans les pâturages, et il faut qu’ils y restent quelques semaines pour reprendre leurs forces. Cette année la disette de fourrage avait forcé les paysans à en tuer plusieurs, et ceux que l’on nous présenta étaient d’une maigreur à faire pitié. Enfin, après nous être adressés à plusieurs marchands, nous finîmes par réunir le nombre de chevaux de selle et de bagage qui nous étaient nécessaires, et le 20 juin nous étions en route pour le Geyser.

Je ne fatiguerai pas votre attention par le détail journalier de notre voyage ; mais je voudrais pouvoir vous peindre, comme je l’ai vue, cette nature étrange et souvent grandiose. Certes, pour celui qui est habitué aux divers aspects d’une terre plus civilisée, pour celui qui veut voir des villes, des monumens, de grandes masses de peuples réunis sur un même point, cette contrée serait triste à parcourir ; mais une fois qu’on a fait abstraction des choses qui, ailleurs, nous sembleraient d’une nécessité absolue, une fois qu’on est décidé à prendre l’Islande telle qu’elle est, à la chercher là où elle existe réellement, à l’étudier dans ses misères et ses beautés, elle présente à chaque pas une source féconde d’observations. Ainsi, lorsque, dans le cours du voyage, nous avions fait les haltes nécessaires pour le peintre et le géologue, c’était pour nous un singulier plaisir de nous en aller chevauchant à travers ces landes sauvages, de noter l’un après l’autre tous les changemens d’aspect qui s’offraient à nos yeux, et tous les accidens de la journée. Tantôt nous nous trouvions jetés au milieu d’une plaine marécageuse où l’on ne découvrait pas une trace de chemin, sur un sol fangeux et vacillant, où quelquefois nos chevaux enfonçaient jusqu’au poitrail. Tantôt nous marchions sur des couches de lave, ou sur un sol couvert de cendre que le vent chassait par tourbillons. Dans quelques-uns de ces champs de lave, les vieillards du pays se souvenaient encore d’avoir vu des pâturages verts et des habitations ; mais une nuit le volcan avait éclaté, et le lendemain tout était enfoui sous des blocs de pierre et des monceaux de cendre. Autour de ce lieu de dévastation, on apercevait de longues lignes de montagnes stériles, sillonnées par des bandes de neige qui descendaient sur leurs flancs rocailleux. Nous marchions ainsi pendant plusieurs heures sans découvrir un seul vestige de culture, sans rencontrer un être vivant, un arbuste, un brin d’herbe. Mais quelquefois, au milieu de cette enceinte de rochers volcaniques, nous étions tout à coup arrêtés par l’aspect d’un lac bleu enfermé dans cette terre aride, comme une coupe d’argent pour l’oiseau des montagnes qui vient y rafraîchir son aile, pour le voyageur qui y trouve une eau pure et limpide. Quelquefois aussi