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bité par trois familles, qui se partagent la même laiterie et la même cuisine ; une église en bois, étroite et mal bâtie, voilà Skalholt. Le cimetière seul atteste qu’il y avait là autrefois une métropole. Il est tracé dans des proportions plus grandes que l’église et le bœr. Les morts ont mieux gardé que les vivans la place où fut le siège épiscopal. Près du cimetière sont les ruines de l’ancienne école, et l’endroit où le paysan a bâti sa triste cabane est celui même où l’évêque avait autrefois sa demeure. L’église aussi a été reconstruite sur un plan plus vulgaire, et dans des dimensions beaucoup plus petites. Elle a cependant conservé quelques restes de sa fortune première, plusieurs beaux livres, plusieurs ornemens d’autel précieux, des chasubles richement travaillées, et un calice en vermeil, qui, à en juger par ses ciselures, par ses médaillons peints sur émail, doit remonter aux premiers temps de la renaissance de l’art. Si je ne me trompe, c’est le calice dont il est parlé dans l’histoire ecclésiastique d’Islande, qui fut apporté à Skalholt par l’évêque Klangr, en 1153. Ce qu’il y a ensuite de plus remarquable dans cette église, ce sont des inscriptions de tombeau. Une, entre autres, m’a frappé par son expression poétique : elle fut faite pour la fille de l’évêque Vidalin, qui, lui aussi, peut être mis au nombre des hommes distingués de l’Islande[1].


Je vais dans la tombe profonde.
Heureuse épouse du Seigneur.
Mon nom n’était pas de ce monde,
Il est dans un monde meilleur.

La mort apporte à mon enfance
Le froid baiser qui fait souffrir.
Mais gaiement là-haut je m’élance,
Je revis pour ne plus mourir.

Adieu donc, lumière infidèle,
Pâle reflet d’un jour plus pur.
D’ici la lumière éternelle
M’apparaît dans ce ciel d’azur.


Nous visitâmes tout Skalholt et toutes ses ruines, et chaque pas que nous faisions sur ce sol poétique ajoutait à nos déceptions. Nos rêves du passé furent interrompus par un incident qui ne pouvait guère les égayer. Le cheval qui portait nos provisions avait pris une autre route que la nôtre. Nous demandâmes du pain au propriétaire du bœr ; mais les Islandais ne mangent pas de pain. Pour le remplacer, la femme du paysan

  1. Il a laissé plusieurs recueils de sermons, un recueil de discours et de poésies latines, et un livre de religion intitulé : Postilla evangelica, qui se trouve dans toutes les maisons islandaises. Il avait été d’abord professeur à l’école de Skalholt. Il mourut en 1720.