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LETTRES SUR L’ISLANDE.

nous fit, avec de la farine de seigle, une espèce de galette, comme on en prépare ici dans les occasions extraordinaires, une galette qui n’est ni pétrie ni cuite. Quand nous en eûmes mangé, nous fûmes tous malades ; mieux valait encore faire diète ; et nous partîmes tous de Skalholt plus affamés qu’en y entrant.

De là à l’Hécla, nous avions une longue journée à faire, et deux larges rivières à traverser ; mais, de distance en distance, nous voyions la tête blanche du cratère se dessiner comme un croissant entre les brunes sommités des autres montagnes, et alors nous redoublions le pas et nous marchions avec ardeur. Si le long de notre route nous avions été frappés de toutes les traces sinistres des éruptions de volcans, quand nous arrivâmes aux environs de l’Hécla, il nous sembla que nous n’avions rien vu. C’est là qu’il fallait venir chercher l’aspect de la ruine et de la désolation. Partout le sol bouleversé, partout la terre enfouie sous ce déluge de feu ; des blocs de lave comme des murailles, des montagnes de cendre engendrées par le cratère, et vomissant à leur tour d’autres montagnes, voilà ce que nous contemplions avec un sentiment d’effroi et de stupéfaction. Cette fois, nous ne pouvions plus suivre en droite ligne notre chemin. Il fallait passer autour des masses de pierres, se glisser entre les rochers, éviter les crevasses. Nous courions des bordées sur cette terre de volcans, comme un navire qui a le vent contraire, et qui marche vers le port en le perdant de vue. À chaque pas, un rempart de roc, une rivière formée par la neige des montagnes, ou un marais baigné sans cesse par la rivière. Nous regardions de temps à autre l’Hécla, dont le soleil dorait alors la robe blanche, et qui, du haut de sa crête glacée, semblait se moquer de notre fatigue et de nos efforts. Enfin, après avoir fait de longs détours dans le même cercle à travers la cendre et la pierre calcinée, nous arrivâmes dans une jolie vallée, abritée entre des rochers, coupée par un ruisseau. Au fond, nous aperçûmes une ferme, un enclos de gazon. C’était bien un Eldorado au milieu d’une terre aride, une oasis dans le désert, si jamais il en fut. Nous établîmes là notre tente, après seize heures de marche. Nous étions au pied du cratère.

Le lendemain, nous partîmes avec un homme du pays pour faire cette ascension de l’Hécla, qui, dès notre arrivée en Islande, avait été notre rêve le plus beau. Le temps était sombre, mais nous craignions qu’un autre jour il ne devînt plus sombre encore. Nous gravîmes à cheval les premières aspérités. À mesure que nous avancions, nous pouvions suivre, de distance en distance, tous les élémens d’une éruption : d’abord la pierre ponce, poreuse et légère, qui monte à la surface du cratère, comme l’écume à la surface de l’eau, et s’envole au loin comme la cendre chassée par le vent ; puis la scorie broyée, tordue entre les masses de lave dont elle