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JEAN-SÉBASTIEN.

La vie de Jean-Sébastien, comme celle de presque tous les grands artistes, se divise en deux parties : l’une de travaux scolastiques, l’autre de pure création. Dans la première, qui s’étend depuis ses plus jeunes années jusqu’à son triomphe d’Arnstadt, il est tout occupé de ce qui a été écrit avant lui et se rend maître de son art ; il exerce nuit et jour ses doigts et les brise à toutes les difficultés ; il approfondit tout à la fois les mystères du contrepoint et du clavier. Dans la seconde, il n’étudie plus, il compose ; mais il est loin encore d’atteindre à la perfection, et sa musique, originale par moment, appartient à l’ancienne école allemande. Jean-Sébastien, comme le jeune Raphaël, conservera long-temps quelque chose de l’aridité de ses maîtres, et ces deux artistes, avant de se révéler au monde, auront besoin de grand air et de solitaires contemplations ; il faudra qu’ils ferment pour quelque temps leurs livres de théorie et d’esthétique et viennent admirer à loisir cette ligne immense de beauté qui serpente comme un lierre autour de la nature, qu’ils élèvent sur la création des regards pleins d’amour, et s’abandonnent à toutes les émotions de l’art, à toutes les extases de la foi, certains qu’il n’est pas de soleils plus ardens pour faire éclore l’harmonie et la couleur. Jean-Sébastien, épuisé par toute espèce d’études scolastiques, se mit à lire dans le livre de la nature, ce livre qui, selon la belle expression de saint Martin, est écrit par la main de Dieu même et toujours déployé afin que l’homme puisse tout apprendre immédiatement et sans le secours de la révélation. Outre ce livre, dans lequel il puisait sans relâche, Sébastien en avait deux autres marqués aussi du doigt de Dieu : la Bible et l’Évangile. Il aimait à se plonger en ces fleuves d’éternelle poésie ; il aimait à comparer la magnificence de ces œuvres augustes, à changer d’inspirations ; tantôt il accompagnait avec des orchestres immenses et des voix tumultueuses l’esprit de Dieu porté sur les eaux ; tantôt il rêvait avec amour aux concerts de louanges qui devaient éclater dans la foule quand Jésus paraissait environné de ses disciples. Le soir, lorsqu’il était seul, il improvisait ; et si vous aviez pu pénétrer dans sa chambre, vous auriez peut-être vu aussi la Divine Comédie sur son clavier. Du temps qu’il écrivait son admirable oratorio de la Passion, après les heures de travail, il venait se planter immobile en face d’un tableau de Dürer, afin d’examiner comment un grand artiste avait peint autrefois ce que