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agi de l’entendre, et les belles jeunes filles, laissant le rouet, descendaient avec leurs mères, afin de contempler une dernière fois le céleste musicien des fêtes de Pâques. Les uns chantaient ses cantates, les autres (ceux dont la mémoire était plus lente à retenir la musique) disaient tout haut combien de familles pauvres il avait soulagées. Lorsqu’ils furent arrivés aux portes de la ville, Sébastien, ému jusqu’aux larmes, renouvela ses adieux à ceux qui l’entouraient, et le vieux Sebald lui dit en l’embrassant : — « Mon fils, la tâche que vous avez entreprise est grave et difficile, et sera le travail de toute votre vie. Les autres arts parlent aux hommes : le vôtre parle à Dieu ; et c’est pourquoi, après avoir étudié trente ans, quel que soit d’ailleurs votre génie, il vous faudra toujours continuer, et tendre vers un idéal que la veille de votre mort vous n’aurez pas encore atteint. Mais lorsque votre esprit, fatigué par le travail du contrepoint, aura besoin de calme et de repos, souvenez-vous qu’il est en Allemagne une ville qui vous aime entre toutes, et dans cette ville une famille dont vous êtes le fils chéri. » — Sébastien serra la main du vieillard avec attendrissement, et lorsque la voiture qui l’emportait s’éloigna, des cris d’amour et de bénédiction l’accompagnèrent long-temps encore, et les jeunes filles lui promirent de prier la Vierge Marie pour lui et ses enfans. Heureux l’artiste que tout un peuple accompagne de la sorte, et lance avec de tels adieux sur le grand chemin de la vie !

Lorsque Sébastien se fut éloigné, le mouvement rentra dans les maisons, le bruit dans les ateliers, et toute chose eut bientôt repris son cours habituel. Maître Sebald travailla incontinent à la nomination du nouvel organiste ; il avait encore présentes à la mémoire les inquiétudes des dernières fêtes, et se rendit en toute hâte chez les principaux habitans pour les presser de faire leur choix. Le brave homme poursuivit son entreprise avec tant d’ardeur, qu’à neuf heures sa fille Gretchen l’attendait encore pour souper. Enfin, il rentra tout épuisé des fatigues du jour, et lorsqu’il eut bien raconté toutes les peines qu’il s’était données afin de trouver un successeur à Jean-Sébastien, sa fille, qui croyait encore au miracle des fêtes de Pâques, lui dit : — Eh ! mon père, pourquoi vous tourmenter ainsi ? ne savez-vous pas que Jésus ne laissera jamais notre ville sans organiste, et que lors même que tous ceux de la terre seraient morts, il y en aura toujours pour elle dans le ciel ?