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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/179

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REVUE ÉTRANGÈRE.

pression, qui est due au livre de Mme de Staël, ne s’effacera pas si tôt. Elle alimentera pendant de longues années encore le génie des romanciers, des voyageurs, et même des philosophes.

De même, l’Allemagne (et j’entends par là la foule, non quelques hommes rares et supérieurs) ne comprend encore que la France du xviiie siècle. Jeune ou vieux, riche ou pauvre, un Français, quelle que soit son origine, sa province, sa condition, est nécessairement un Voltairien fluet, agile, mobile, le nez au vent, qui jure de par Helvétius et Marmontel, qui porte à ses souliers la poussière de la régence, et sur son front le sceau de la jeune année de 1770. Vous tous qui franchissez le Rhin, préparez-vous à jouer le rôle de votre trisaïeul ; sinon, on vous l’imposera. Soyez gracieusement impie et religieusement encyclopédiste à la manière du baron d’Holbach, railleur, persifleur, comme vous le pourrez ; c’est là votre caractère donné, et que l’on attend de vous. — « Je suis grave, dites-vous ? Le siècle m’a changé. Je me suis fait avec l’âge profond, savant, croyant, pesant, comme l’Allemand aujourd’hui se fait vif. » — « Non, non, vous est-il répondu. Votre persiflage ne nous en imposera pas ; votre gravité et votre religion sont des graces qui vous manquaient au siècle dernier. Vous jouez avec l’infini et la philosophie, comme votre aïeul avec Ninon de l’Enclos. » À présent quittez ce personnage si vous pouvez.

En vertu de la même observation, une femme française est nécessairement une poupée parée, choyée, gâtée, sans cœur, sans tête, sans ame, du reste un abîme de frivolité, et le centre de tous les déréglemens. Une jeune fille allemande, élevée dans les vrais principes, nourrit en secret le mépris le plus superbe pour une grande dame française, à qui le triple démon de la coquetterie, de la légèreté, et des amusemens de la régence, ne laisse pas une heure de répit pour une passion profonde et naturelle. C’est ainsi que les moines se figuraient toujours les soldats l’épée à la main.

On peut affirmer que ces deux ou trois points, bien et sagement développés, composent tout le fonds d’observation des trois quarts des écrivains qui se font, en Allemagne, les interprètes de la France.

Si, des circonstances générales des mœurs, on passe à cette matière bien autrement subtile des arts, de la poésie et des lettres en général, c’est que la discordance est vraiment effroyable. L’es-