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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/178

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REVUE DES DEUX MONDES.

Ce fut la scène de l’étudiant chez le docteur Faust. On imita, traduisit, compila, et de nouveau on compila, traduisit, imita. De temps en temps, l’Allemagne tournait doctement la tête du côté de cette pauvre France qui rentrait à l’école comme une petite fille. Rarement la pédagogue se montrait satisfaite de son élève. Deux ou trois signes au plus d’une satisfaction protectrice laissèrent penser qu’elle ne désapprouvait pas les labeurs de cette innocente, et qu’avec du temps, et force férules, injonctions et admonitions, elle ne désespérait pas d’en faire quelque chose. Ce fut l’histoire des quinze années ; après quoi, la France, en juillet 1830, fut renvoyée à sa quenouille, légitimement atteinte et convaincue d’étourderie révolutionnaire, de frivolité, indocilité et incapacité philosophique.

Les Allemands, révélés par leurs poètes, ont été, dans ces derniers temps, l’objet d’une idolâtrie qui tend à les corrompre. Qu’est devenue l’humilité qu’ils avaient conservée jusqu’au xviiie siècle ? Une susceptibilité ombrageuse et hargneuse tourmente incessamment ces nouveaux rois de l’opinion. Leur prétention, comme celle de tous les héros de romans, soit qu’on les loue, soit qu’on les blâme, est de n’être jamais compris de leurs adorateurs ; et personne ne nie qu’ils ne s’arrangent parfaitement pour cela. S’il se trouvait même à la fin, quelque part, un jugement sur eux vrai et impartial, je doute fort qu’ils s’en montrassent satisfaits, car ce jugement, supposé qu’il fût exact, serait une limite à l’idolâtrie ; et quand on a été Dieu un jour, on tient à son nuage.

Il faut, au reste, que des différences bien profondes séparent la France et l’Allemagne, puisque, malgré les efforts de tant d’hommes remarquables des deux parts, tant de préjugés les séparent encore. Quand les idées que ces deux peuples se forment l’un de l’autre ne sont pas absolument fausses, elles sont toujours en arrière de leur état présent au moins d’un demi-siècle. Un perpétuel anachronisme les sépare. Ils se poursuivent l’un l’autre, comme dans la course d’Atalante, sans s’atteindre jamais.

Par exemple, quel temps ne faudra-t-il pas pour que la France renonce à se représenter l’Allemagne comme un pays de contemplation et d’enthousiasme, un Éden livré aux poètes, et la nation entière comme la Belle au bois dormant ! Cette image était vraie, il y a cinquante ans ; elle a cessé de l’être. Mais cette première im-