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aux affaires et aux destinées de l’Espagne, il ne pourra la tenir : la nature des choses sera plus forte, et nous serons toujours obligés de nous occuper d’une nation qui intervint dans nos discordes au xvie siècle, et qui a tour à tour appelé sur elle l’action politique de Louis XIV, de la révolution française, de l’empereur et de la restauration.

Voilà, ce semble, ce qu’un homme d’état devrait comprendre ; mais M. Guizot n’a qu’une politique étrangère, c’est de n’en pas avoir. Son système est d’abandonner les affaires européennes au chef irresponsable du cabinet : il prétend ouvertement au rôle de favori ; il dit tout haut qu’il est plus avant dans les bonnes graces du roi que ne l’ont jamais été MM. Thiers et Montalivet. M. Guizot veut être à la fois homme de cour et ministre éminemment parlementaire : il regarde les affaires intérieures comme son domaine exclusif, et compte fonder son règne sur la docilité des chambres. C’est à l’époque de la réunion du parlement qu’il espère modifier le cabinet. Ses projets seraient de prendre le ministère de l’intérieur, de mettre M. de Rémusat à l’instruction publique, d’évincer M. Molé, et de donner les affaires étrangères à M. Sébastiani, qu’on rappellerait de Londres.

On ne s’étonnera pas que M. Guizot préfère M. Sébastiani à M. de Broglie pour lui faire habiter l’hôtel des Capucines, si l’on pense au caractère un peu raide, à l’absence de souplesse qui caractérise le noble duc. M. Guizot s’est souvent considéré comme la victime des fautes de son ami, et s’est bien promis de ne plus associer sa fortune ministérielle à la sienne. Toutefois, comme dans son propre parti plusieurs verraient avec plaisir le retour de M. de Broglie, il est obligé de cacher sa pensée, et d’avoir l’air de désirer ce qu’il redoute le plus. Son vœu serait que M. de Broglie acceptât l’ambassade d’Angleterre, et que M. Sébastiani vînt à Paris signer les passeports de cabinet.

L’écueil de M. Guizot, c’est la chambre ; il ne peut se défendre d’un mouvement d’effroi, lorsque, jetant les yeux autour de lui, il ne trouve aucun orateur capable de défendre son administration, soit dans son ensemble, soit dans ses détails. On ne saurait contester à M. Guizot le talent de parler à une assemblée ; mais son éloquence, quelque réelle qu’elle soit, n’a pas pour caractère la variété et la richesse ; ses propres partisans conviennent à regret que sa parole est lourde et monotone, qu’il rapporte à peu près tous les ans le même discours. On se demande comment M. Guizot tiendra la tribune, quand il aura pour adversaires, dans des situations et des nuances différentes, M. Thiers, dont l’ingénieuse et scintillante facilité lui fut si souvent utile, et peut lui devenir redoutable ; M. Sauzet, dont la parole ne saurait tarir ; M. Mauguin, qui cherche toujours et réussit quelquefois à embarrasser cruellement les ministres ;