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LE MAROC.

sortions de la montagne Akbar (grande) qui nous restait à franchir. Jusque-là nous avions marché à travers champs sans suivre de chemins battus, par la raison qu’il n’y en a guère, et que ceux qui existent ne diffèrent pas beaucoup des friches raboteuses au milieu desquelles le pied des mules et des chameaux les a tracés. Le soldat cheminait en avant, et nous suivions, allant droit devant nous sans craindre le procès-verbal des gardes-champêtres. Mais pour traverser la montagne, il y a un sentier ouvert, si on peut appeler de ce nom une espèce de fossé hérissé de rocailles aiguës, plein de cailloux roulans, et sillonné dans tous les sens de racines d’arbres en saillie. Les chevaux du pays ont le pied fait à ces épreuves et s’en tirent avec honneur.

D’ailleurs, le site est pittoresque, et l’on oublie en le contemplant, les aspérités du chemin. Le mont est très boisé, l’arbre qui domine est le liège et l’yeuse ; il y en a d’énormes, et après avoir marché si long-temps à ciel découvert, ce n’est pas un médiocre plaisir que de s’enfoncer sous ces dômes frais et impénétrables. De grandes roches calcaires sont dispersées de tous côtés, tantôt suspendues au bord du précipice, tantôt adossées aux troncs noueux des chênes ; ici elles se resserrent en défilés si étroits, que le corps du cheval y peut à peine passer ; là elles forment des voûtes aériennes qui menacent ruine ; ailleurs, elles s’étendent en longs bancs lisses et glissans où l’on risque de faire naufrage à chaque pas. Un silence profond règne dans ces forêts séculaires, et quelques pauvres huttes de bûcherons, égarées dans la sphère des orages, sont les seules habitations de ces solitudes atlastiques ; tout cet ensemble ne manque pas de grandeur, mais l’imagination lui en prête encore davantage, quand on songe qu’on est là sur les premières pentes de l’Atlas.

Nous fûmes accueillis au sommet de la montagne par un coup de vent furieux qui faillit nous désarçonner et jeter nos chevaux dans les abîmes ; mais la rafale ne fit que passer, et alla s’engouffrer dans les bois. Une longue procession de chameaux gravissait un à un la côte que nous descendions ; à l’approche de la bourrasque, ils s’étaient accroupis d’instinct, afin de lui laisser moins de prise. Ils avaient l’air assez misérable, comme tous ceux que j’ai rencontrés au Maroc ; tous ont les reins et le cou pelés, ce qui ne contribue pas à les embellir ; à peine leur reste-t-il çà et là quelques